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Chanter,
c'est lancer
desballes

Interactifs, les concerts des Voisins
semblent avoir été inventés pour
illustrer la jolie métaphore d’Alain
Souchon qui compare les chansons
à «des ballons qu’on tape,
pour que quelqu’un les rattrape,
et que ça be-bop-a-lulap»
.

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«Une chorale capable de transmettre comme une épidémie le virus du chant. Un antidote efficace contre la timidité.» C’est Le Monde de la musique qui salue ainsi en janvier 2000 la bonne humeur contagieuse des Voisins du dessus et leur concept, réellement novateur à l’époque, de spectacle participatif. Depuis 1996, convertie à l’interactivité par son expérience au Bal moderne, la chorale passe le témoin au public à chaque concert. Nom de code de cette parenthèse: l’atelier. On choisit une chanson du répertoire, les spectateurs se répartissent en autant de groupes que le morceau compte de voix, quitte à investir les coulisses et les moindres recoins du théâtre. Et chacun apprend sa partie, guidé par les choristes et les musiciens (aujourd’hui Jean-Marie Leau, Stéphanie Blanc et Jérôme Levatois). À peine une demi-heure plus tard, ce sont des spectateurs ravis et incrédules qui interprètent la chanson comme s’ils avaient fait ça toute leur vie…
«Faire chanter les spectateurs, ça amène à un vrai échange, tout d’un coup, remarque Gérard Abadjian. Ce n’est plus dans un sens: je chante et tu m’écoutes; c’est: je chante, tu m’écoutes et, après, c’est toi qui chantes et moi qui t’écoute. On offre la scène au public, on inverse complètement le rapport millénaire qui consiste à ce que certains se produisent et d’autres restent passifs.» À la clé, un plaisir partagé, selon Stéphanie Prot: «C’est

gratifiant pour les spectateurs d’accéder à la scène alors qu’ils ne s’y attendaient pas forcément et ça crée un lien particulier. Pour nous c’est très plaisant d’emmener les gens avec nous, de leur dire: voilà ce que je chante et maintenant on va le faire ensemble.» Aux yeux de Jean-Marie Leau, ce choix d’associer le public a une portée presque politique : «C’est vraiment ça le plus important et le plus singulier chez les Voisins du dessus. On se produit sur des scènes auxquelles les amateurs, habituellement, n’ont pas accès, mais c’est légitimé par le fait que cette chance, on la partage avec le public. On pourrait dire que cette chorale n’a rien à faire sur ces scènes-là, ce serait vrai s’il y avait confiscation. Mais, pour moi, il y a quelque chose d’initiatique à faire monter des amateurs sur des scènes professionnelles alors que les deux mondes sont hélas déconnectés.»

De fait, c’est cette possibilité de participer que les spectateurs citent spontanément quand on les interroge sur les raisons de leur sourire radieux à la sortie des concerts. Combien ne se hasardent jamais à chanter en public et découvrent à cette occasion le plaisir de l’unisson? Divine surprise que le tract distribué au tournant des années 2000 évoque sans retenue : «Vous pensiez chanter comme une casserole? Grâce à leur formule inédite de spectacle interactif, les Voisins du dessus vont vous faire changer d’avis sur vous-mêmes.» Même rétifs au départ, les spectateurs se laissent embarquer : «Pour la

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Nuit de la voix à l’Olympia, j’étais dans le public à côté du grand-père d’une soprano, se souvient Jacqueline Bertin. Il a regardé le programme en disant “ouais, c’est de la variété” d’un air méprisant, mais quand les Voisins ont chanté L’Amant de Saint-Jean, il l’a entonné avec eux de tout son coeur.» Au plaisir du partage s’ajoute celui, mêlé d’étonnement, de constater à quel point l’exercice est à chaque fois réussi: «Je me suis rendu compte que, quand on prend les gens de vitesse, on obtient des résultats spectaculaires», remarque Jean-Marie Leau. Pris de court, les spectateurs n’ont pas le temps de se poser de questions, de s’inventer des obstacles paralysants. Agnès Brabo y voit un «effet zen», qui surprend toujours . Stéphanie Prot : «Être seulement spectateur, c’est un statut confortable. Avec nous, tu te fais choper. Et malgré la durée très courte de l’exercice, ça fonctionne. À chaque concert, je m’étonne que ça ait encore fonctionné.»

Deux mondes déconnectés

«J’ai la conviction que les professionnels se sont trop éloignés des amateurs, martèle Jean-Marie Leau. À l’origine, les chanteurs vivaient grâce à la vente de partitions, les “petits formats”. Il y avait quelque chose dans la boucle commerciale qui faisait que plus les amateurs chantaient, mieux ça marchait pour les professionnels. Les disques et les moyens d’écoute plus actuels ont permis l’essor de l’industrie musicale, mais, en même temps, ça a fait déconnecter le monde professionnel de sa base qui est une base de pratique amateur. Il y a un refus des mélanges incroyable. Ça a un coût: l’économie du disque est moins florissante qu’elle l’a été; c’est moins problématique pour les gens qui font davantage de scène.» Rapprocher professionnels et amateurs, c’est aussi l’ambition de Pierre-Marie Boccard, délégué général des Nuits de Champagne, tandis que d’autres remettent en cause la hiérarchie entre les deux types de pratique: «On constate parfois plus de sérieux et de professionnalisme chez des amateurs que chez certaines personnes qui ont la chance de gagner leur vie avec la musique», estime Robert Goldman. Richard Cross approuve: «Il faut faire la différence entre la compétence et la professionnalisation. On peut gagner sa vie grâce à une activité artistique, alors qu’on ne l’exerce pas avec beaucoup de compétence. Il y a aussi des gens très qualifiés dans leur domaine et qui ne vivent pas de leurs apparitions sur scène. C’est pourquoi il ne faut pas hésiter à mélanger les deux univers.»

Qu’ils l’appellent «notre marque de fabrique» ou «notre ADN», selon leur perméabilité aux modes lexicales, nombre de choristes voient dans les ateliers la raison d’être de la chorale. C’est le cas de Marie-Florence Gros, qui a exporté le principe de l’unité retrouvée par le chant jusque dans une école :
«Ce qui m’intéresse ce n’est pas de voir les Voisins chanter, c’est le fait que les gens chantent ensemble, choristes et spectateurs mêlés. L’aventure c’est cette espèce de partage improbable. Que des amateurs apprennent des morceaux à trois ou quatre voix à d’autres, encore plus amateurs qu’eux. La magie est là.» Élie Abécéra renchérit : «Ce qui m’attirait vraiment, c’était ça, l’ouverture, les surprises bonnes ou moins bonnes, la spontanéité qui est à la source de ce que Jean-Marie a toujours eu envie de faire. C’est pour cette raison que les concerts qui m’ont laissé les meilleurs souvenirs, ce ne sont pas ceux qui ont eu lieu sur des scènes prestigieuses mais les dimanches à la Gaîté Montparnasse.» Pour le millésime 2005 de leur passage dans ce théâtre, les Voisins ont poussé la logique jusqu’au bout en inventant le spectacle-karaoké : «On avait carrément mis un vidéoprojecteur au-dessus du plateau et le public pouvait chanter toutes les chansons qu’il voulait, sourit Philippe Quillet. Les gens étaient debout pendant tout le spectacle. Ce sont des moments d’échange pleins de joie et de chaleur. Ça n’a pas de prix, dans la société dans laquelle on vit.»

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Plongée ou papillon

Ça commence sur le trottoir : ils arrivent. Certains ont le pas assuré, la démarche décidée. D’autres se sont trompés et pensaient assister à une pièce de théâtre. Ils hésitent et entrent quand même. Et puis il y a les fidèles, les habitués. Ah, ceux-là, s’ils n’étaient pas là, il y a des dimanches où la salle sonnerait creux. D’une façon générale, le béotien n’a pas vraiment idée de ce qui va se passer. Ah bon, «on» chante? Mais où? Ah bon, nous aussi? Mais euh… Vous êtes sûrs? Et si on chante faux? Et c’est quelle tessiture? Et la voix 2, elle est plus haute que la 3? Ah bon, vous ne savez pas? Tout ce petit monde prend place, plus ou moins rassuré. Personnellement, je les divise en trois catégories. D’abord les «apnéistes»: ils restent obstinément plongés dans leur feuille; si elle se mettait à chanter à leur place, ils n’y verraient pas d’inconvénient. Leur immersion dure le temps de l’apprentissage, et sur scène on les remarque à l’arrière, près des rideaux noirs dans lesquels on sent qu’ils aimeraient se fondre… Ensuite, il y a les «décomplexés», les extravertis, des Voisins qui s’ignorent ou qui se découvrent, des chanteurs qui aiment ça. Et puis il y a la troisième catégorie, ma préférée, je les appelle les «chrysalides». Ceux-là, on ne les remarque pas, au début. On pourrait les confondre avec les plongeurs de la première espèce, mais eux, petit à petit, ils abandonnent leur bouteille, le tuba, leurs yeux périscopiques sortent par-dessus leur feuille. La métamorphose commence, touchante. On ne les entend pas encore bien mais ça va pas tarder… Il faut d’abord qu’ils s’assurent, qu’on les rassure. Et puis le cocon s’entrouvre et un filet sonore s’échappe. Sur scène, leur corps se met à bouger, des gosiers sortent des notes inconnues jusqu’alors de leurs propriétaires. Ainsi, chaque dimanche, s’opèrent des transformations infinitésimales, sous nos yeux de Voisins, sur la scène de la bien nommée Gaîté.
Petit inventaire des spectateurs chantants, écrit par Patrick Delage au printemps 1998

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Le team-building qui swingue

Dans l’entreprise, pour intégrer les nouvelles recrues ou aplanir les différends, rien de tel que de chanter en choeur. Les Voisins proposent des interventions qui ont déjà séduit nombre de responsables de formation. Parmi eux, Sophie Floreani, de BNP-Paribas. Témoignage.

J’ai fait appel aux Voisins du dessus à de multiples reprises. J’organisais des séminaires d’intégration pour les nouveaux managers de haut niveau, à Louveciennes, en 2006-2007. Nous étions dans un cadre sympathique mais assez formel, dans ce château qui, d’ailleurs, porte le nom de Voisins, et, tout à coup, quelqu’un faisait irruption au milieu du dîner en disant: «On a un problème avec les voisins du dessus.» On voyait ces drôles de personnages arriver. Ce qui frappait d’emblée, c’est la façon dont ils étaient habillés avec des tenues extravagantes, des chemises multicolores. On avait l’impression de retrouver le Big Bazar de Michel Fugain! Les participants regardaient ces intrus, hébétés: «Qu’est-ce que c’est que ça? Qu’est-ce qui se passe?» Puis, peu à peu, ils commençaient à se dérider en les écoutant chanter. Ensuite, ils étaient séparés par groupes sous la houlette des choristes et des trois guitaristes, pour apprendre les différentes voix de Bal moderne . Et à la fin, on chantait en choeur dans un esprit bon enfant qui ravissait tout le monde. Plus récemment, j’ai fait intervenir les Voisins dans le cadre magnifique de l’abbaye des Vaux-de-Cernay, puis à l’occasion d’un séminaire avec des informaticiens étrangers qui venaient notamment du Maghreb, d’Afrique subsaharienne ou d’Europe de l’est. Ils ont appris une chanson en russe, une en basque, une en wolof. Les problèmes de langue étaient transcendés par la convivialité. C’est cette qualité qui caractérise avant tout les Voisins. Dans leur façon de chanter, de transmettre ce qu’ils maîtrisent, ils font preuve d’une réelle ouverture, il y a un côté «je vais vers l’autre» qui donne vraiment envie de les suivre. À chaque fois, c’est réussi, alors que ce n’est vraiment pas évident de faire chanter des managers. Leur première réaction, c’est : «Que va dire mon collègue? Je chante comme une casserole. Et puis je suis dans le domaine professionnel, il ne faut pas que je me lâche.» Grâce à leur bienveillance, les Voisins incitent à se lâcher un peu, tout en ne faisant pas n’importe quoi. Ils sont tellement souriants, énergiques et sympathiques que personne ne rechigne. Leur bonne humeur, leur enthousiasme et aussi leur professionnalisme entraînent tout le monde. Et puis ce qui frappe c’est la diversité. Il y a des jeunes, des vieux, des personnalités hétéroclites mais tout ça donne un ensemble cohérent. Ça peut paraître contradictoire mais ça ne l’est pas, c’est la preuve qu’avec une hétérogénéité importante on peut arriver à un ensemble homogène. Du coup, dans les équipes, chacun s’y retrouve aussi. Le collaborateur qui se sent différent, ou pas à sa place, comprend qu’il y a de la place pour toutes les singularités. On ne sent aucun jugement, comme cela pourrait être le cas avec un choeur très carré. L’autre point positif, c’est qu’il s’agit d’une activité qui rassemble : on n’est pas seul face au chant, on peut compter les uns sur les autres. C’est un bon moyen de souder les différentes équipes car la somme des individualités donne une réussite collective, et c’est ce qu’on cherche dans l’entreprise. C’est un vrai moment de partage et d’adhésion sans réserves à une proposition et on se dit que si on le fait là, on peut aussi le faire sur un projet professionnel. Dans l’entreprise, j’ai toujours eu des commentaires extrêmement positifs sur les interventions des Voisins.