Des débuts
en fanfare
Des débuts
en fanfare
Ils étaient barman,
journaliste ou policier. En
l’espace d’à peine trois ans,
ils ont enregistré deux
disques, se sont produits
au Casino de Paris
et ont chanté avec
la France entière.
«C’était comme une fulgurance.
Comme s’il avait pressenti quelque
chose d’évident et de fondamental.
Il m’a dit: "j’ai envie de faire chanter des gens".
C’était un désir fort, spontané, pas raisonné.»
Séverine Vincent est amie avec Jean-Marie Leau depuis que, dans une soirée, ils se sont
aperçus qu’ils avaient en commun la
passion de la musique. «Il m’a proposé de
monter un groupe vocal avec lui. Il ne voulait
pas d’une chorale traditionnelle mais parlait
d’un groupe ludique, sympa, sans plus de
précisions, ce n’était pas très clair.» Jean-Marie Leau le concède : «C’était quelque chose de
tout sauf rationnel. Je me suis juste dit “j’aime
les choeurs, il faut que j’en monte un”. Le
chant choral n’était pas à la mode comme
aujourd’hui, mais pour moi, ça n’avait rien de
ringard. J’avais envie de m’inspirer de groupes
comme Manhattan Transfer.»
Les deux amis commencent à réunir un
répertoire fait de chansons de Jean-Marie et
de reprises, en évitant soigneusement les
sentiers battus des chorales poussiéreuses
qui sévissent à l’époque. Sur les maquettes
qu’ils enregistrent, aux titres de Barbara ou
d’Anne Sylvestre s’ajoutent bientôt des
pièces plus classiques suggérées par
Laurence Tordjman, elle aussi comédienne
et musicienne, qui a rejoint le duo. C’est à
trois qu’ils fonderont en novembre 1993 la
chorale des Voisins du dessus, un nom choisi
pour des raisons restées obscures (voir encadré).
«On avait vraiment envie que ce soit ouvert
à tout le monde mais naturellement on a
commencé par inviter les copains, raconte
Séverine Vincent.
«Au début on était une
vingtaine. Nos
relations sont liées à nos métiers
donc il y avait beaucoup d’artistes. On se
réunissait une fois par semaine, dans une
ambiance bon enfant, sans but précis. Pour
moi, c’était vraiment une récréation.» Mais
Jean-Marie Leau voit plus loin : «J’ai eu envie
d’enregistrer un disque, j’en ai parlé à Nadine
Laïk Blanchard, qui dirigeait les éditions
musicales de TF1, Une musique. Elle est venue à
une répétition, elle a tout de suite été
conquise.» On est en 1994, le cinquantenaire
du débarquement de Normandie approche.
Le premier disque des Voisins sera un single
où figure Le chant des partisans.
Qui baptise une chorale a le choix entre
deux options. La sobriété (Jeune choeur
liturgique, Chorale populaire de Paris…) ou
le calembour plus ou moins inspiré (Haut de
gammes, Le choeur de Pierre, Chant’sons,
Note et bien, on vous en passe et des pires).
Jean-Marie Leau a choisi une troisième voie,
celle du nom qui n’a rien à voir avec
la chose. Séverine Vincent l’assure, à peine
la gestation du projet mise en route,
il savait que le futur bébé s’appellerait
Les Voisins du dessus. Sur les raisons qui
l’ont amené à faire ce choix, les avis sont
aussi tranchés que divergents. «C’est parce
qu’il a fondé la chorale avec ses vraies
voisines», soutiennent mordicus la plupart
des choristes. Une des vraies voisines
en question, Séverine Vincent, s’inscrit
en faux : «C’est parce qu’il voulait que
le groupe soit ouvert à tout le monde,
le cousin, la gardienne, les voisins du
dessus. Et aussi, en référence aux oiseaux
qui chantent au-dessus nos têtes, qui sont
d’ailleurs représentés sur la pochette
du premier disque.» Troisième version,
celle de l’intéressé : «Un musicien que
je connaissais cherchait un nom de groupe,
il tournait autour de l’idée de voisins.
J’ai proposé les Voisins du dessus,
mais, finalement, il ne s’en est pas servi.
Je l’ai repris, car les voisins du dessus, ce
sont ceux qui dérangent ceux du dessous.
Être ceux qui dérangent ne me déplaisait
pas. Mais tout ça, c’est postrationalisé.»
Si c’est lui qui le dit…
«En 1996, on a ouvert la Fête de la musique
avec Chante, mais ensuite on a interprété
quelques morceaux de notre répertoire,
dont L’Arche de Noé
, de Nino Ferrer,
raconte Gérard Abadjian. Le soir, je me
retrouve avec Jean-Marie à la réception
organisée au ministère de la Culture. Nino
Ferrer était là, il nous interpelle :
- C’est vous qui avez chanté L’Arche de
Noé ?
- Oui, on est très contents de vous
rencontrer, on apprécie beaucoup cette
chanson !
- C’est une chanson qui n’a eu aucun succès
mais moi aussi je l’aime beaucoup. Quand
je suis arrivé au Palais Royal, vous la
chantiez et ça m’a vraiment ému !
On était très contents de lui offrir ce moment, de lui rendre le plaisir qu’il nous avait donné en écrivant cette chanson qu’on a toujours adoré chanter.»
Nul doute que l’artiste était sincèrement touché, lui qui se lamentait, quelques mois avant son suicide : ” J’ai écrit, composé et produit près de deux cents chansons, et les gens n’en connaissent que trois.”
Et pour ne pas s’arrêter en si bon chemin, l’année suivante, ils reprennent le chemin des studios (La belle équipe à Bagnolet, studio du groupe Bill Baxter, et l’Artsitic Palace à Boulogne) pour donner naissance à un «vrai» album, cette fois-ci. Douze titres où se mêlent harmonieusement sonorités Renaissance et contemporaines, reprises et créations de Jean-Marie Leau. Entre temps, le recrutement s’est diversifié, les artistes ne sont plus en majorité.
Témoin, le livret accompagnant ce
disque, qui présente le groupe ainsi: «Trente-trois
zoiseaux venus de Paris et ses banlieues, de
Marseille, Montréal ou Beyrouth. Avocat,
comédien, employé de bureau, journaliste,
informaticien, coiffeur, attaché de presse,
barman, compositeur, policier, vendeur, sans
emploi, tous chanteurs comme tout le monde.»
Chanteurs comme tout le monde et à ce
titre un peu surpris de se retrouver à
enregistrer un album. Et encore plus, la
même année, de devoir assurer, sur la scène
du Casino de Paris, la première partie du
concert de Richard Gotainer, chanteur à jeux
de mots, auteur foutraque de nombreux
tubes (Le mambo du décalco, Primitif, Le
Sampa, Le Youki) dont l’infinie subtilité
échappe à ceux qui n’ont pas vécu les
années 1980. Pour Vincent Mouluquet, à
l’époque serveur dans un restaurant, «c’était
une aventure extraordinaire et totalement
inattendue. On a chanté quelques chansons en
première partie et certains d’entre nous ont
assuré des choeurs sur plusieurs morceaux de
Gotainer. On s’est retrouvés à cinq ou six sur
scène habillés en cuistots, moi je tenais un
homard en plastique sur un plateau pour une
chanson dont le refrain était “cocacolbouse et
burgershit”. Le concert était formidable, il y
avait une ambiance du tonnerre, et se
retrouver devant 1500 spectateurs, pour nous
qui n’étions que des amateurs, c’était
inespéré.» Gérard Abadjian, avocat,
confirme: «On ne se posait pas la question de
savoir si on était à notre place, on savourait
juste notre chance d’être dans des endroits où
on avait a priori aucune raison de se retrouver.
Tous ces coups que montait Jean-Marie, c’était
autant de cadeaux qu’il nous faisait.»
En juin 1996, à l’occasion de la Fête de la
musique, c’est la France entière qui chante
avec les Voisins. Sous la houlette de Jean-
Louis Foulquier, la voix de la chanson
française sur France Inter, ils investissent une
estrade dressée dans les jardins du Palais
Royal. La chorale, alors souvent comparée au
Big Bazar, ouvre la fête en interprétant
Chante (comme si tu devais mourir demain), de
Michel Fugain, en simultané avec des
dizaines de choeurs de province relayés par
les radios locales de Radio France. «C’était un
très beau moment et on revenait à l’intention de
départ: réunir des gens d’une grande diversité à
tous points de vue», souligne Séverine Vincent.
Non contents de faire fi des différences d’âge,
de niveau musical ou de statut social, les
Voisins s’affranchissent même des distances
géographiques! Près de vingt ans plus tard,
c’est grâce à Internet que Jean-Marie Leau renouvellera cet exploit en inventant la
chorale virtuelle.
Pour qui a toujours rêvé de tisser des liens entre des gens qui chantent, difficile de négliger Internet. Vingt ans après la création des Voisins, Jean-Marie Leau a donc imaginé une chorale virtuelle qu’il a baptisée e-Jam. Le principe : en suivant les indications du chef de choeur, chacun chante sa partie, devant sa webcam. Toutes les hésitations sont permises, on ne met en ligne sa prestation que lorsqu’on en est satisfait. À l’arrivée, une mosaïque de visages et une harmonie semblable à celle d’une chorale réelle. C’est Laurent Angeli qui a pris en charge la mise en ligne et toute la partie technique. L’application est disponible sur téléphone et l’informaticien travaille à un système de géolocalisation qui permettrait à chacun de repérer les choristes vivant à proximité. Ainsi, les chorales virtuelles pourraient engendrer des chorales réelles. Le service est pour l’heure en phase de lancement. On peut s’amuser à participer ici : www.ejam.fr