Des voisins
parmi d'autres
Des voisins
parmi d'autres
L’histoire commune de la chorale est tissée
de destins singuliers. Paroles de Voisins
d’hier et d’aujourd’hui.
SÉVERINE VINCENT
S
a voix cristalline est familière aux enfants
des années 1970. Elle fut l’interprète
d’Émilie dans le conte musical de Philippe
Chatel, Émilie jolie. Quinze ans plus tard,
Jean-Marie Leau fait appel à elle pour l’aider
à mettre sur pied Les Voisins du dessus.
«J
e suis comédienne, mais j’ai aussi
beaucoup chanté. J’ai rencontré Jean-
Marie par un ami commun qui était son
producteur et qui m’a connue toute petite.
On est devenus très amis, on a travaillé
ensemble à plusieurs reprises et il me faisait
beaucoup écouter ses créations. Un jour il
me dit: “J’ai envie de faire chanter les gens.”
C’était très flou, tout ce que je savais c’est qu’il
détestait les chorales À coeur joie et leur côté
patronage de petite ville de province où les
notables viennent pousser la chansonnette.
En tout cas, j’ai dit banco et ça a commencé
sur les chapeaux de roue. En même temps, il
y a eu des cafouillages au début. Quand on a
fait le Casino de Paris avec Gotainer,
quelques comédiens ont dit: “Ça ne m’amuse
plus qu’on utilise mon image, mon talent, sans
me payer.“ Idem pour le premier album:
c’était une chouette expérience, mais ça
devenait un produit, un groupe comme un
autre. Heureusement, une deuxième vague a
commencé à déferler: les amis d’amis, qui
n’étaient pas des gens du métier. Nous
sommes revenus à la source de ce qu’on
voulait faire: accueillir tout le monde. La non-sélection
a été un principe dès le départ. Il y
avait vraiment de tout, des gens qui
chantaient comme des casseroles, personne
ne lisait la musique, certaines répétitions
étaient un désastre total. Ce qui a détendu
ça, c’est la mise en place du Bal moderne.
D’un seul coup, ça obligeait les dilettantes à
se mettre au boulot, car, pour faire travailler,
le public, il fallait être compétent. Après le Bal
moderne, les effectifs ont explosé, il a fallu
former plusieurs groupes, chacun répétant à
un moment différent. Je suis partie, car ça
devenait trop prenant. Mais cette expérience
m’a appris la rigueur nécessaire pour diriger
un groupe, et en même temps la diplomatie
qui doit aller avec, ce n’est pas toujours
évident quand on a 25 ans. Donc ça a été
formateur et en même temps très plaisant.
Quand on brasse soixante personnes, ça
grince parfois, mais globalement l’ambiance
était très joyeuse. C’était chouette de voir des
gens de mondes très différents qui
devenaient de vrais amis. Chanter positionne
les gens de façon assez égalitaire, c’est
libérateur, c’est fédérateur.
Sans Laurence Tordjman ou sans moi, les
Voisins n’auraient pas ressemblé à ce qu’ils
sont. On a contribué à construire le
répertoire, à apporter cette couleur musicale
particulière due à l’absence de pupitre. Et,
surtout, Jean-Marie ne se serait pas lancé seul
dans cette aventure. Mais il l’a poursuivie
avec constance. Je n’imaginais pas du tout
qu’un jour on fêterait les 20 ans des Voisins
du dessus. Pour moi, c’était une parenthèse,
une expérience artistique amusante à vivre.»
VALÉRIE PERRIN
L
ongtemps, Jean-Marie Leau et elle se sont
levés de bonne heure. Et retrouvés au
coin d’un boulevard parisien pour enfourcher
leur bicyclette et admirer le lever du soleil à
l’heure où Paris s’éveille.
«On chantait en permanence sur nos vélos et Jean-Marie m’a parlé de son idée de réunir des chanteurs de salle de bain. Quelque temps plus tard, il m’a appelée pour m’annoncer la naissance des Voisins du dessus et me proposer de les rejoindre. On était dix-huit au départ. Dès la première année, on a enregistré Le chant des partisans, c’était hyperintense émotionnellement et une expérience unique, c’est la première fois que je rentrais dans un studio. Peu après, on s’est retrouvés au Casino de Paris avec Gotainer: le premier spectacle,
les répétitions avant pour tout
border, le trac qui arrive… De toute façon, les
Voisins, ce n’est que ça, des expériences
uniques. Rapidement, l’effectif a grimpé et
l’activité avec, on était cent cinquante, on
n’arrêtait pas, la Gaîté, les kiosques, les
gares… On a quand même beaucoup bossé,
mine de rien, parce que c’était aussi toujours
le même petit noyau qui s’occupait
d’encadrer les nouveaux et de faire chanter
le public au théâtre. On était à fond dedans,
très investis. Quant à moi, lorsque Séverine
Vincent et Laurence Tordjman sont parties,
je suis devenue en quelque sorte le bras
droit de Jean-Marie. Je connaissais toutes les
voix, je les avais enregistrées avec lui sur les
cassettes qu’on donnait aux choristes pour
qu’ils répètent chez eux, je me suis aussi
occupée du secrétariat de l’association. À un
moment, j’ai eu besoin de disparaître, pour
des raisons personnelles. Mais ça a été une
expérience extrêmement forte, vraiment !
Pour moi chanter c’est un peu se foutre à
poil et exprimer ce que tu as au fond de toi, il
y a une sorte d’impudeur et de mise à nu.
Quand tu es entourée de gens bienveillants,
ça crée du lien. Tu lâches tout, tu y vas, tu es
avec les autres, tu es en confiance. Ça facilite
la naissance d’amitiés. On partait
régulièrement en vacances chez les uns ou
les autres, on a organisé des pique-niques
géants de cent cinquante personnes au parc
de Sceaux. Ce qui se passe dans ce groupe, je
n’ai pas l’impression que tu peux trouver ça
ailleurs. Les Voisins, c’est un truc de partage,
de rencontres, d’émotion. C’est une histoire
d’amour.»
Agnès Brabo Elle a été une figure des Voisins du dessus. Pendant des années, Agnès Brabo a accueilli les nouveaux, leur a appris le répertoire, les a rassurés lors de leurs premières scènes. Elle avait même organisé une répétition hebdomadaire dans son salon… Musicienne avertie, elle est, selon Valérie Perrin, «d’une douceur infinie, d’une patience incroyable, très délicate, discrète et à l’écoute». Pendant une dizaine d’années, jusqu’à son départ au milieu des années 2000, elle s’est donnée sans compter à la chorale. Une expérience qui a
«radicalement changé [sa] vie. La rencontre
avec un public qui chante apporte beaucoup
d’énergie. On arrive fatigué, on ressort
ragaillardi. L’idée géniale, c’est de dire que
tout le monde peut chanter, en accueillant les
choristes sans distinction et en permettant au
public de monter sur scène. Souvent, on a
l’impression qu’une scène c’est inaccessible,
c’est l’Élysée, c’est la lune. C’est intéressant de
sentir ça sous ses pieds un jour et de le
partager sans en abuser, c’est-à-dire en
laissant les artistes à leur place. Je le vois
comme un geste d’ouverture, un partage
merveilleux. Comme l’est le chant choral en
lui-même. Quand on chante ensemble, on est
ouvert l’un à l’autre. On a comme un objet
transitionnel, quelque chose en commun. Ce
qui compte c’est l’échange qu’on a autour de
cet objet-là, ce ne sont pas nos opinions, nos
façons de vivre, non, c’est uniquement le
chant, cet objet de partage.»
MARIE-FLORENCE GROS
«J
’ai d’abord rencontré celle qui était à
l’époque l’épouse de Jean-Marie. Un
jour, je la ramène chez elle, elle me propose
de me le présenter. Pourquoi pas ? Ils
habitaient au dernier étage d’un immeuble,
elle ouvre la porte, il y avait vingt personnes
dans l’appartement et elle lance : “Ah, les
Voisins du dessus sont là ce soir!” Je reste
totalement interdite, me disant : “C’est quoi ce
délire, il y a des gens qui habitent sur les toits?”
Entre autres activités, j’écrivais des
chansons*. Avec Jean-Marie, nous avons
décidé d’en écrire ensemble et j’ai rejoint les
Voisins.
À l’époque, je n’aurais jamais été dans le
public: je n’aimais pas la chanson française, à
quelques exceptions près. Mais je ne me suis
pas positionnée par rapport à ce qu’ils
chantaient, s’ils avaient chanté du rock ça
aurait été pareil. Ce qui m’amusait c’était
l’aventure humaine et le fait que Jean-Marie,
avec qui je m’entendais très bien, était en
train de construire quelque chose d’inédit.
Il a vraiment porté son projet à fond avec tout
l’enthousiasme qu’il pouvait avoir, un
investissement personnel fort, quelque chose
de généreux. J’aimais la folie de cette idée, le
groupe avec sa diversité, ses caractères
complètement différents, avec les limites que
ça pouvait avoir aussi.»
De cette folie et de ces limites, Marie-Florence parle plaisamment dans un numéro
de L’Écho des Voisins de décembre 1997. «Il
peut arriver que l’humeur des Voisins fasse de
la tachycardie, mais grosso modo, je la trouve
naturellement penchée vers la rigolade. Et ça
me plaît. C’est vrai que les aventures de Leau,
Zette et Jocko chez les Popov, les fenouillardises
de la famille Voisins à la Gaîté et autres
piednickleries ont curieusement apporté un peu
d’amidon chez les volatiles: on sait maintenant
qu’il faut être plus pros dans notre pagaille
naturelle. Mais, moi, j’aime bien quand même
qu’on garde du vent dans les plumes et du
bazar entre les oreilles. Alors pour rester sur le
fil sans prendre le jus, je me dis qu’il faut que
chacun arrive à mettre de l’ordre chez soi sans
perdre le goût du désordre, surtout de celui des
autres. Et puis je voulais dire merci à ceux qui
ont le génie de garder le sourire même quand
les fils chauffent, qu’il y a des sautes de voltage
et des ruptures de courant: je ne les nommerai
pas parce que ça ferait fin de spectacle et que
je ne sais même pas comment on écrit Roger
Hart et Donald Cardwell.»
* Marie-Florence Gros a, depuis, écrit les
textes de nombreuses chansons, notamment
pour Patrick Bruel.
KHALID K
K
halid K est un magicien de la voix. C’est
le seul instrument qu’il utilise dans ses
spectacles, au cours desquels il est capable
de vous emmener au bout du monde sans
prononcer un mot.
«J
’ai rencontré Jean-Marie pour des
raisons professionnelles, à une
époque où j’avais déjà poussé très loin la
recherche vocale : au cours de
performances, je faisais chanter au public
des onomatopées, des chants tribaux. Il m’a
proposé de venir à une répétition, voir si je
pouvais apprendre des choses aux Voisins.
J’ai commencé à leur faire faire des exercices
vocaux plutôt décalés, des étirements, des
bâillements, et le contact s’est établi très
rapidement. Quand je me suis placé en face
d’eux, j’ai senti une réaction: “C’est qui celui-là,
qu’est ce qu’il nous veut?”, une espèce de
résistance de groupe impressionnante. Mais,
en cinq minutes, ça a été cassé, tout le
monde a vu que je n’étais pas méchant et
que ma proposition était plutôt délirante. La
plupart ont adhéré et vu que ça faisait
beaucoup de bien de détendre le corps,
d’être dans le mouvement, de lâcher le
souffle. C’était rapide, efficace, simple, on
travaillait sur l’émotion, les blocages.
J’arrivais à accompagner les gens comme un
chaman. Quand on est planté devant
quarante personnes à leur faire émettre des
sons, on reçoit quelque chose d’une
puissance incroyable, c’est un bulldozer. J’ai
eu cette chance de pouvoir jouer avec ça.
Puis Jean-Marie m’a proposé d’accueillir les
nouveaux venus à la séance du mercredi. Il
m’a donné carte blanche, alors qu’on se
connaissait très peu. J’ai dû apprendre toutes
les voix et j’accompagnais à la guitare.
Pendant les concerts, je jouais des
percussions. Puis j’ai dû tout arrêter, car j’ai
commencé à tourner avec mes spectacles.
Chez les Voisins, j’ai apprécié cette belle
énergie des retrouvailles, les gens laissaient
leurs soucis à l’extérieur et venaient dans
cet espace où on sentait qu’il y avait
quelque chose de précieux pour chacun,
pour son bien-être. C’était une façon de
s’évader mais aussi d’avoir une pratique
semi-pro, car Jean-Marie proposait toujours
des interventions d’assez haut niveau.
Pourtant, côté niveau musical, il y avait de
tout : des gens qui se débrouillaient très
bien, d’autres qui chantaient faux mais qui
étaient sympas, parlaient à tout le monde.
On leur disait : “Chante moins fort, t’es
complètement à côté” et ils avaient leur
place. Je me souviens d’une petite dame qui
chantait avec une voix fluette, vraiment
faux, mais elle arrivait toujours avec des
petits gâteaux et elle faisait partie de
l’ambiance. C’est ça qui était fort chez les
Voisins : pouvoir intégrer les gens quel que
soit leur niveau, sans critère de jugement.
Et c’est encore plus vrai avec les ateliers. Le fait de chanter ensemble va
complètement contre la tendance dans
J’ai en tête des images, à la Gaîté, où il m’écoute chanter et il a une espèce de regard perçant, le regard du “repéreur“ qui se dit: “Il chante plutôt bien”. En 1998, j’ai commencé à jouer avec Stéphanie Blanc. J’étais auteur-compositeur-interprète. Et dès qu’on s’investissait un minimum, Jean-Marie nous prêtait la scène pour quelques chansons. Il avait ouvert ça de manière généreuse, pleine de confiance. Au bout d’un moment, je jouais des oeufs de percussion, puis quand Khalid est parti, il m’a confié un djembé. Je n’en avais jamais fait mais j’ai le sens du rythme et c’était un jeu assez minimal. J’étais encore là quand le tournant a été pris, quand il y a eu les premières velléités de faire des mises en scène avec le Châtelet, la Cigale. Dès cet instant, ça m’a moins intéressé. Ce qui me plaisait vraiment, c’était l’interaction avec le public. On lui a fait apprendre des chansons très compliquées, ça marchait parce que les gens avaient envie. Et ils repartaient chez eux avec une telle banane qu’on était les plus heureux du monde.
À l’époque, la chorale était en devenir.
Quelqu’un qui arrive aux VDD aujourd’hui
trouve un Jean-Marie parfaitement dans ses
bottes et qui connaît par coeur ce qu’il fait.
Moi, je l’ai vu en train de découvrir lui-même
ce qu’il était en train de faire. Il avançait sans
but très précis et, au fur et à mesure, le truc
se dessinait sous ses doigts. Un jour, il nous
avait fait un petit speech à la Gaîté pour nous
remercier, nous dire combien cette
expérience le transportait, le changeait luimême.
Pour nous expliquer qu’il ne savait
pas très bien ce qu’il avait dans les mains au
début et qu’au fur et à mesure il se retrouvait
avec quelque chose qui prenait une forme et
une couleur incroyables et il avait fini très
ému. Les choristes aussi, cette expérience
les a transformés. J’ai vu des gens changer,
grandir, aller au-delà de leurs blocages, faire
des progrès, s’affirmer, j’ai vu des histoires
d’amour, des histoires humaines immenses.
Et moi aussi, j’ai vraiment grandi, entre autres
parce que Jean-Marie a posé ce regard
sur moi.»
VINCENT MOULUQUET
«J
’ai rencontré Jean-Marie dans un
restaurant où je travaillais, ayant mis
mes études en stand-by. Il habitait à côté,
c’était un peu sa cantine et on plaisantait
ensemble, on s’entendait bien. Il nous a
proposé, à l’autre serveur et à moi, de
rejoindre les Voisins: “Je viens de créer une
chorale, est-ce que ça vous dirait de venir vous
amuser une fois par semaine?” Tout de suite
j’ai apprécié l’ambiance conviviale. En
revanche, je n’y allais pas pour le registre, je
n’en suis pas fan, la chanson française n’a
jamais été ma came. Cela dit, c’était vraiment
intéressant d’assister en direct au travail de
Jean-Marie, de voir comment sur une
chanson par le travail fait sur les choeurs,
l’harmonisation des différentes voix, il arrive
à sculpter un enrichissement qui fait que la
chanson tient debout. Et puis, surtout, c’était
l’aventure humaine qui m’attirait. On n’était
pas tous copains, il y a des affinités électives
forcément, mais à force de se retrouver de
manière hebdomadaire, de vraies amitiés
naissent. C’était le cas entre Jean-Marie et
moi, je suis devenu le parrain de sa fille.
On s’est retrouvés très rapidement à
connaître des expériences hors normes. Tu
bosses dans un restaurant, tu as 23 ans, tu
entres dans une chorale pour t’amuser et tu
te retrouves dans un studio à enregistrer un
album. Et, ensuite, à chanter au Casino de
Paris devant 1600 personnes. Et, dix ans
après, c’est nous qui remplissons la même
salle. Les dix premières années aux Voisins,
c’était une succession de cadeaux. Tout ça,
ça donne un relief étrange à ta vie. On était
amateurs, mais tout le monde avait envie
de bien faire et ça, c’est un ciment assez fort.
Comme il y avait des enjeux réguliers, ça
recadrait ceux qui avaient tendance à venir
en dilettante. Pour autant, on était plutôt en
confiance, car Jean-Marie a cette qualité de
ne pas faire peser de pression inconsidérée.
À un moment, Jacky Nercessian, qui
présentait nos spectacles, n’a pas pu
continuer, pour des raisons professionnelles.
On devait faire un mois de spectacles au
Sentier des Halles, Jean-Marie m’a appelé le
lundi pour le remplacer le mercredi. C’est une
de ses qualités ou une de ses folies: je n’ai
jamais fait ça, mais il me le propose quand
même. Et je n’ai jamais senti un doute de sa
part. Idem pour les dix ans au Casino de
Paris. Il me propose de présenter, il ne me
demande pas le quart de ce que je vais faire.
Philippe Quillet a été un amour, il a respecté
le groupe, il est arrivé sur la pointe des pieds.
De la part des Voisins, même de ceux
dont je n’étais pas spécialement proche,
je n’ai jamais senti que du soutien,
de l’encouragement. C’est la qualité
du groupe qui faisait ça.»
En tout cas, ça tombait très bien: quelque temps auparavant, j’avais cherché une chorale, en vain parce que je ne sais pas lire la musique. J’ai adoré la bonne humeur qui se dégageait de ce groupe, les chansons entraînantes, le fait qu’il n’y ait pas de partition, que l’apprentissage se fasse à l’oreille avec les différentes harmonies et que ça marche tout de suite. Pourtant, je me suis fait violence pour m’inscrire parce que je ne connaissais personne avec qui y aller – j’étais à Paris depuis peu – et me lancer dans cette démarche toute seule n’était pas évident pour moi. Mais d’emblée je me suis sentie bien accueillie. Parmi les grands moments vécus avec les Voisins, je citerais la soirée au Théâtre du Châtelet, où on a chanté Turbulente rhapsodie, une chanson qui, en elle-même, donne des frissons, avec le choeur Turbulences. Mais aussi, bien sûr, l’Olympia. On y a interprété Où vont-ils comme ça devant des micros suspendus. Ce sont des chansons fortes, des salles immenses, mythiques, tu te dis qu’il y a tellement de professionnels talentueux qui n’ont pas la chance de faire ça que tu savoures chaque instant. Et puis il y a les voyages: en Russie, on a vécu des moments en dehors du réel. Quant au séjour à Barcelone, offert par la Caixa, c’était un conte de fées. Mais les bons souvenirs sont innombrables. Et même quand on est moins convaincus, le bilan final est souvent positif. Par exemple, avec le Magnificat de Bach, on a atteint les limites de ce qu’on sait faire. Mais c’est ce qui nous a permis de rencontrer le curé de Saint-Eustache et c’est par son biais qu’on a su
qu’une salle de
répétition était disponible au centre Cerise.»
Nancy: «Je vais beaucoup au spectacle,
j’ai donc vu très tôt des concerts des Voisins
à la Gaîté Montparnasse. J’avais trouvé génial
le fait de chanter avec eux en étant dans le
public. Ensuite, je les ai retrouvés lors des Nuits de la voix, car je travaillais
chez France Télécom. Je me suis toujours dit
que le jour où j’aurais le temps, je les
rejoindrais. J’adorais chanter, et puis leur
fantaisie m’a conquise. Quand j’ai eu du
temps libre, en 2004, j’ai envoyé un courriel
et on m’a tout de suite proposé de venir.
Depuis, on a vécu des moments incroyables,
l’expérience la plus excitante étant pour moi
la participation aux Enfoirés avec le tournage
du clip et les concerts successifs. Faire les
choeurs pour Henri Dès était aussi très
intéressant parce qu’on était dans un
environnement hyperpro et l’enjeu était
important, il ne fallait pas décevoir les
spectateurs. Même chose quand on a
participé à l’émission sur Sol en cirque
diffusée au moment de Noël sur France 2.
Quelques jours avant, on avait chanté
dans la galerie Joué Club à Richelieu-Drouot
pour faire la promo de l’émission. Je me
souviens aussi de moments improbables
comme la freeze party qui a eu lieu dans un
square en contrebas du Trocadéro. Le
principe: tout le monde chante et dès
l’instant où tu vois que ton voisin se fige, tu te
figes aussi. Les gens qui passaient par hasard
nous regardaient interloqués…
Mais au-delà de ces moments plus ou
moins insolites, je dois dire que la chorale
m’a vraiment aidée à me sentir mieux à une
époque. Si j’ai eu du temps libre en 2004,
c’est parce que j’étais en arrêt de travail,
car je me battais contre un cancer. Parmi
les Voisins, personne ou presque n’était au
courant. À la base, j’y suis allée juste parce
que, enfin, mon emploi du temps était moins
chargé, mais, ensuite, j’y ai vraiment pris
goût. Pendant toute ma période de
chimiothérapie où j’étais à ramasser à la
petite cuillère, ça m’a fait un bien fou de
pouvoir participer aux répétitions. C’était une
vraie respiration.»
MICHEL BUZENAC
C
’est le doyen mais c’est un gamin.
Agaçant et attachant comme un
garnement qui n’en fait qu’à sa tête.
Incorrigible quand il interrompt les
répétitions par des plaisanteries qui font
sourire la moitié des choristes et soupirer
l’autre moitié; à la fois irritant et
attendrissant quand il se fait rabrouer
parce qu’il ne sait pas ses paroles.
Un galopin à qui beaucoup pardonnent,
car il est de ceux qui accueillent les nouvelles
recrues à bras ouverts et leur permettent
d’emblée de se sentir bienvenues.
«N
adine Laïk Blanchard me dit un jour:
“Tu connais Jean-Marie avec qui je
travaille parfois? Il monte une chorale avec
des chanteurs amateurs, si ça t’intéresse tu es
le bienvenu.” Il se trouve que, par ailleurs,
j’ai connu Séverine Vincent enfant. Je n’ai
jamais fait de musique, mais ils cherchaient
des voix de basses. Je me suis présenté dans
une salle à La Fourche, on m’a demandé
de faire quelques vocalises. Le concept n’était
pas encore bien précis, on était une dizaine
et on ne savait pas trop où on allait. L’espoir
de Jean-Marie était de faire chanter la France
entière, mais il ne pensait pas que ça
prendrait cette ampleur. Dès les premiers
mois, on a enregistré Le chant des partisans,
et Maurice Druon, l’un des auteurs,
nous a félicités et remerciés. À partir de là,
les Voisins ont été pris au sérieux. Ce qui
n’empêchait pas de s’amuser! Le concert de
Gotainer, par exemple, était complètement
foutraque. J’avais un bleu à la jambe, car il
jetait une chaise pendant une chanson et elle
PATRICK ET FRÉDÉRIQUE
DELAGE
A
ux yeux de Jean-Marie Leau,
«Patrick Delage est une exception
exemplaire. Alors que tous les professionnels
sont partis, il est fidèle depuis près de vingt ans,
il est assidu aux répétitions, il bosse.»
Et sur scène, il ne ménage son énergie
ni dans l’interprétation des chansons
ni dans celle des intermèdes cocasses
finement ciselés dont il émaille le spectacle.
«C
’est à une fête chez Marie-Florence Gros que j’ai rencontré Jean-Marie.
Un mois plus tard, à l’été 1996, on s’est
retrouvés chez elle, en vacances dans les
Cévennes. Patrick Zeff était là aussi. Marie-Flo
faisait partie de la chorale et m’en avait un
peu parlé, mais ce qui m’en a le plus parlé,
c’est le comportement de Jean-Marie. Dès le
premier instant où on a été ensemble, on est
partis au quart de tour à déconner comme
des fous pour tout et n’importe quoi, avec les
mêmes références cinématographiques,
musicales, sportives, culturelles au sens
large. Donc, je me doutais bien que les
Voisins ce n’était pas le choeur traditionnel
avec la partition à la main. J’avais déjà eu des
velléités d’intégrer une chorale, ça n’avait pas
marché, mais confusément je sentais que je
devais le faire, donc je ne pouvais pas passer
à côté des Voisins. À la fin des vacances,
Jean-Marie nous a donné des cassettes, à Patrick
Zeff et moi, en nous disant: “Je vous demande
juste d’apprendre les paroles des chansons.”
Comme à l’époque, on était seuls, on s’est dit
que ça pouvait aussi nous permettre
de rencontrer des filles. Trois mois après,
on participait au Bal moderne, moins d’un an
après on partait en Russie.»
Et à peine deux ans après, il rencontrait
une fille, en effet. Frédérique, jolie comme un
coeur et «bonne copine» comme pas deux,
capable, en concert, de traduire par d’infimes
nuances dans l’expression du visage toute
une palette de sentiments. C’est d’abord en
spectatrice qu’elle a chanté le répertoire.
«E
n novembre 1997, un dimanche soir
avec une copine, on regarde le
Pariscope et on voit: “Venez chanter à la Gaîté
avec les Voisins du dessus.” Moi, je suis
un juke-box, on lance un mot et je chante,
donc on n’a pas hésité. Mais ce qui m’a plu,
ce n’est pas tant que le public chante, c’est
que les chansons étaient belles et que c’était
gai, ça faisait du bien. J’y suis retournée toutes
les semaines avec des amis, un groupe de
plus en plus large. Or, fin décembre, plus de
Gaîté. Je venais voir le spectacle, m’amuser, je
n’avais même pas envisagé de faire partie de
cette chorale. Mais j’ai été recontactée et on a
débarqué rue Saint-Roch avec plusieurs
amies, dont Stéphanie Prot. Je connaissais
déjà toutes les chansons. Un mois après, je
partais en Russie.»
La Russie, le plus extraordinaire souvenir
des Voisins, pour eux deux comme pour
beaucoup: «La première fois, quand le chef
de choeur, Sergueï, nous a entendu chanter
dans le bus, il était émerveillé. Alors que c’est
un musicien en béton au niveau justesse,
travail de voix, on avait l’impression que
c’était un gamin en culottes courtes, car on
était tout ce qu’ils ne sont pas: on n’était pas
au garde-à-vous, on était avec nos têtes
de cons à chanter approximativement mais
avec la pêche… Il a dit: “Ça va être énorme!”
Et il avait raison. Tous les concerts ont été
magnifiques, et, à la fin, on était les Beatles.
Si on ajoute les fêtes avec les Sakaliata à
boire des coups et où tout le monde pleurait,
plus la beauté de ce qu’ils chantaient, c’est un
souvenir inoubliable.»
D’autres moments marquants? Dans le
désordre, Le Bal moderne («à ne rater pour
rien au monde»), le Bal de l’an 2000
(«démesuré»), Bach à Saint-Eustache («surréaliste»), la Fête de la musique
à la piscine Champerret («déconnant»),
les concerts dans les gares («insolite»),
Choralissime («marrant»), L’Opérette
imaginaire aux Bouffes du Nord («sublime»).
Mais, mieux que les souvenirs, il y a Mina,
Lola et Robin, trois enfants qui ne seraient
pas là si la chorale n’avait pas existé.
Conclusion de Patrick: «Entrer aux Voisins
pour rencontrer des filles et y trouver la femme
de sa vie, moi je dis: mission accomplie !»
STÉPHANIE PROT
«J
’ai connu les Voisins par Frédérique
Delage. Après avoir vu le spectacle à
la Gaîté, elle avait embarqué une bande de
copains et on y est allés tous les dimanches
qui ont suivi.
La première fois, je regardais, interdite,
je me disais: “Qu’est-ce qui se passe, là?
C’est quoi, ce truc?” C’était un véritable Ovni.
C’était très bon enfant, ça avait l’air d’être
à la fois totalement maîtrisé et pas superorganisé,
ça paraissait très bizarre. Mais les
gens avaient visiblement l’air de s’éclater
sur scène, donc après le premier quart
d’heure d’interrogation totale, je me suis
laissée embarquer par ce bonheur très
communicatif.
Au bout de plusieurs semaines, Jean-Marie nous a dit: “C’est bien de venir nous voir,
mais il faudrait nous rejoindre.” On a
commencé à répéter rue Saint-Roch le
mercredi pendant un ou deux ans avec
Khalid et Agnès qui menaient ça de main de
maître avec quelques anciens, toujours les
mêmes, qui nous aidaient à apprendre. Ça
nous a beaucoup plu mais on n’y allait pas en
dilettante, on se donnait à fond, on avait nos
cassettes, on travaillait chez nous. Pour
certaines chansons compliquées, on faisait
des répétitions supplémentaires le samedi
matin chez Agnès. À l’époque, on était censés
apprendre plusieurs voix, ça permettait
d’étoffer notre connaissance du répertoire
et d’améliorer notre écoute des autres voix.
Pour nos premiers concerts, on a retrouvé
la Gaîté. Mais ce n’était plus tous les
dimanches et on n’était pas forcément tous
sur scène, il y avait des chansons écrites pour
que certains choristes chantent en solo, en
duo, en trio, souvent des invités comme
François Bernheim ou Vincent Baguian.
C’était varié et très plaisant. Par la suite,
lorsqu’on a fait des concerts plus structurés,
mieux préparés, dans de
grandes salles, la discipline
était drastique. Il y avait un
calendrier de répétitions fixé à l’avance. Au
début de chacune, on faisait l’appel et ceux
qui étaient absents trois fois ne pouvaient
pas faire le concert: ça rigolait pas! Il fallait
que ce soit vraiment construit, que les
déplacements se fassent proprement,
que chacun connaisse ses textes sur le bout
des doigts… On s’est un peu détendus par
la suite, et c’est peut-être pas plus mal, mais
c’est vrai que c’est en étant rigoureux qu’on
offre au public un truc qui a de la gueule.
C’est ça qui le séduit, et aussi, bien sûr,
les ateliers. C’est fondamental, car ça le fait
participer à notre petite folie, ça force les
gens gentiment. Même avec des publics
difficiles, même dans les séminaires
d’entreprise, où les salariés n’ont pas prévu
de voir un spectacle, et encore moins de
chanter, ça fonctionne. Tout le monde se
laisse embarquer et ça donne une ambiance
très gaie. J’adore ça, ce petit clin d’oeil qui crée
un lien avec les gens. Il y a des soirées
où ça a pris une dimension supplémentaire,
par exemple lors du Bal de l’an 2000, où il y
avait des centaines de personnes dans cette
grande salle de la Cité de la musique et où on
explorait une nouvelle langue, le wolof, sous
la houlette de Wasis Diop. Dans
un autre genre, le Magnificat de Bach à Saint-Eustache nous permettait de sortir de notre répertoire
traditionnel. Pour obtenir quelque chose
qui sonnait, on a bossé comme des fous!
De mon point de vue, dans cette belle église
avec une réverbération naturelle, c’était
réussi. Même si ce n’était pas parfait d’un
point de vue musical, le public a apprécié.
Car, au-delà de la technique vocale, quand il
y a une réelle implication dans ce qu’on fait,
ça transparaît. Quand on prépare et qu’on
donne un spectacle honnêtement,
avec engagement, avec générosité,
ça emporte les gens même s’il y a quelques
petits trucs qui dépassent sur les côtés.
Au-delà de tous les concerts qu’on a pu
faire, l’intérêt de ce groupe c’est aussi les liens
qu’on y noue. On a tous de vrais amis, de
simples connaissances et des gens avec qui
on ne parle pas vraiment, mais avec qui on
partage quelque chose de particulier. Même
quelqu’un dont on ne connaît pas la vie, on a
du plaisir à chanter avec lui. On passe un
moment agréable, on apprend ensemble, on
s’épaule, on se prête les textes, on se chante
dans l’oreille. Ce n’est pas pour ça que ça crée
automatiquement une intimité en dehors de
la chorale, mais on est dans un même élan et
c’est très chouette et dynamisant. Ce qui crée
de l’intimité, du lien, c’est surtout les coups
qu’on va boire après, les voyages,
une histoire commune.
Les Voisins, j’y suis depuis plus
de quinze ans, ça a clairement changé ma vie.
Forcément, toutes ces expériences, ça
impacte ce que tu es ou la façon dont tu vis
les choses. Ça m’a
fait aller au-delà de moi
dans certaines circonstances, ça a modifié
ma façon de voir les choses. Faire partie
d’un groupe ça modifie ton rapport à l’autre.
Oui, bien sûr, ça a profondément influé
sur ce que je suis aujourd’hui.»
RAYMONDE JASSAUD
T
ailleur strict, lunettes cerclées, petit pas
pressé et air compassé, c’est l’image qui
vous vient à l’esprit quand on vous parle
d’une médecin septuagénaire ? Remballez
vos clichés, voici Raymonde, ses T-shirts à
message («Mon nom est Monde. Ray Monde»),
son bon sourire et ses réparties gouailleuses
qui penchent nettement plus côté carabin
que versant mandarin. D’ailleurs, être
médecin, souvent, ça lui pèse. «Quand je suis
arrivée aux Voisins, en 1996, je faisais croire
que j’étais coiffeuse pour qu’on ne vienne pas
me demander mon avis sur la grippe du petit et
l’arthrose de la grand-mère.» Preuve qu’elle
ne se départ jamais de son humour,
car l’époque était difficile pour elle.
«E
ntre 1983 et 1993, j’avais perdu
onze personnes de mon entourage
affectif proche : mon mari, mon père, ma
mère, des amis extrêmement chers avec qui
je communiquais quasiment tous les jours,
et en juin 1996, je perds une amie qui était
comme une soeur. J’étais vraiment déprimée.
Les Voisins chantaient au Palais Royal pour
la Fête de la musique, Ginette (choriste
historique), que je connaissais depuis
vingt ans, me dit : “Viens nous voir, ça te
distraira, ne reste pas dans ton coin à te
lamenter.” J’ai bien apprécié le spectacle,
donc, ayant toujours aimé chanter, je me
présente à la rentrée rue Saint-Roch où
avaient lieu les répétitions. On devait remplir
une fiche : connaissez-vous le solfège, avez-vous
déjà chanté, aimez-vous le classique,
le jazz, voulez-vous chanter en solo ?
Les Voisins, ça a été une véritable thérapie,
ça m’a permis de réintroduire un peu
de gaieté, de légèreté dans ma vie.
Entre tous ces décès, mon fils qui
grandissait, je ne me suis jamais remariée,
j’ai ramé psychologiquement, affectivement,
il n’y avait pas beaucoup de fantaisie dans
mon quotidien, et puis la médecine générale,
ce n’est pas toujours marrant.
D’ailleurs, au départ, je ne voulais pas être médecin,
je voulais être danseuse étoile. Mes parents
m’ont laissé prendre des cours, de là
à en faire un métier, certainement pas! Les
Voisins ont été une soupape qui m’a permis
de renouer avec le côté artistique que j’avais
laissé de côté. Et ce dans un esprit de grande
liberté. Je n’aime pas être corsetée: quand
j’étais enfant pendant les cours de danse,
mon moment préféré c’était quand la prof
nous demandait d’improviser, alors que la
plupart des autres filles détestaient ça.
Jean-Marie nous a toujours laissé cette
liberté, c’est quelqu’un qui a une grande
acuité psychologique, il appréhende
finement les personnalités et les laisse
s’exprimer. D’ailleurs, certains d’entre nous
ont eu des chansons écrites spécialement
pour eux. Élie et Stéphanie m’ont écrit
Des baisers, que j’ai chantée plusieurs fois
en solo. C’est très intimidant, mais j’aime bien
me lancer des défis.
Ce qui me plaît aussi, c’est la variété de ce
qu’on peut faire avec les Voisins. On est
montés sur des scènes prestigieuses et, à la
même époque, on chantait dans les kiosques
de jardins publics et c’était très sympa aussi.
Parfois, on a eu des plans ratés. Comme cette
fête de fin d’année d’une école de commerce:
la salle était vide, il y avait juste une fille
qui lisait un hebdo! Idem à l’hôpital Bichat
pour la Fête de la musique, aucun spectateur!
À côté de ça, on a chanté à Bercy avec
les Enfoirés devant des centaines
des personnes. L’ambiance était très
chaleureuse, si bien que quand j’ai vu
un grand barbu super-baraqué se poster
à côté de moi, j’ai dit à ma voisine: “Ils sont
quand même vraiment sympas, ils font même
chanter les mecs de la sécurité.”
C’était Sébastien Chabal.»
JOSIANE BROCCHI
«J
e me suis retrouvée à Paris après
mon divorce, j’étais un peu seule.
Mais je connaissais Jean-Marie par une
cousine et il m’a proposé de rejoindre la
chorale. Je suis arrivée à la répétition du
samedi rue Saint-Roch à l’automne 1995. Ça
a été le coup de foudre ! Mon intégration à
Paris en a été grandement facilitée. J’ai adoré
l’ambiance, la jovialité de Jean-Marie. Le
répertoire aussi me plaisait : au tout début,
nous avons répété Mon amant de Saint-Jean,
mais harmonisé de façon originale. Au mois
de juin suivant, nous avons ouvert la Fête de
la musique au Palais-Royal. C’était le premier
grand moment, j’avais très peur mais c’était
une superbe expérience. Ensuite, je me suis
habituée à la scène. Jean-Marie a même écrit
une chanson pour Raymonde et moi, Le Web
,
que nous chantions en duo, elle en costume
de marin, moi, en costume de bain 1900
rayé. Les souvenirs inoubliables, on ne peut
pas tous les citer. Mais j’ai quand même une
prédilection pour les concerts où nous avons
chanté pour des causes humanitaires.
Par exemple, la soirée au Châtelet: être
dans ce théâtre prestigieux, chanter avec
les personnes autistes, avec qui le courant
passait vraiment bien, c’était un grand
moment d’émotion. Idem pour les Enfoirés
à Bercy, se retrouver devant cette salle
immense, croiser tous ces
artistes et puis,
surtout, soutenir les Restos du coeur,
ça avait vraiment du sens. Tout comme les
prestations pour Sol en cirque, notamment
cette émission de télé où Jonasz faisait
l’andouille, et où les organisateurs avaient
toutes les peines du monde à faire bouger
Cabrel, qu’ils trouvaient trop raide.
Et puis, bien sûr, l’expérience, la plus forte,
c’est la Russie. De grandes amitiés se sont
nouées pendant ce voyage, facilitées par
toutes ces émotions partagées. Ce qui m’a
le plus marquée, c’était l’accueil de tous ces
gens si simples, surtout dans l’orphelinat.
Les enfants nous avaient préparé des petits
spectacles, des dessins, dressé des buffets
avec ce qu’ils avaient pu réunir… On a fait
plusieurs concerts dans Rybinsk et on s’est
déplacés dans plusieurs villes alentour.
Partout les gens nous accueillaient comme
des rois. Ils adorent la France, et ils étaient
contents qu’on leur apporte notre fantaisie,
notre liberté. Pendant et après les concerts,
c’était l’émeute. Je me souviens aussi de
l’arrivée dans notre chambre au sanatorium:
dans la salle de bains, il y avait une baignoire
en fonte avec des pieds en griffes et un tuyau
genre tuyau de gaz d’où sortait un tout petit
filet d’eau rougeâtre. On participait à
des soirées à l’ambiance un peu surannée,
organisées dans le sanatorium. Avec les
autres filles, on avait repéré un beau mec,
mais au bout de quelques jours,
on s’est aperçues que c’était un prêtre!
Tous ces souvenirs communs créent
des liens indéfectibles. Pour moi, les Voisins
c’est une famille. On a partagé tellement de
choses, tellement de moments forts! Pour la
naissance de mon petit-fils, quand j’ai appris
que mon fils et ma belle-fille étaient à la
maternité, on était en week-end chez une
Voisine. Eh bien, entre ce coup de fil et celui
annonçant la naissance de Solal, Jean-Marie et Patrick m’ont écrit une belle chanson!»
LILIANE ROBERT
I
nterrogez un spectateur à la sortie
d’un concert des Voisins du dessus,
les trois quarts du temps il vous parlera
de «cette petite dame aux cheveux blancs
qui a une pêche incroyable».
Pas de doute, c’est Liliane Robert.
«J
’ai beaucoup chanté en chorale
depuis l’enfance jusqu’au choeur
de la Sorbonne, où le répertoire était
essentiellement classique, bien sûr.
Ensuite, je ne chantais plus, sauf pour moimême
ou mes enfants. Au moment de la
retraite de mon mari, dont j’étais l’assistante,
quelqu’un me demande: “Et toi, qu’as-tu aimé
faire dans la vie?“ J’ai répondu: “J’ai aimé
chanter.” J’avais plus ou moins l’intention
d’intégrer une chorale, mais je n’avais pas
envie d’un choeur traditionnel. Là-dessus,
je trouve un article dans un journal féminin
sur les Voisins… J’y pense et puis j’oublie.
Mais peu de temps après, une émission
sur France Inter annonce leurs concerts
à la Gaîté Montparnasse. J’y suis allée.
Moi qui ne voulais plus chanter des requiem,
j’étais bien tombée!
À la fin du spectacle, on nous a dit: “Si ça
vous intéresse, laissez votre adresse, on vous
écrira”, et c’est ce qui s’est passé. Je me suis
retrouvée avec un petit groupe de nouveaux,
un mercredi, rue Saint-Roch. On nous a
distribué une liste de chansons et des
cassettes avec les enregistrements voix par
voix. Jean-Marie faisait répéter le lundi et on
ne passait pas du tout systématiquement
d’un groupe à l’autre. Une femme un peu
autoritaire faisait barrage: “Qui peut chanter
cette chanson?” Le passage dépendait
du répertoire que chacun maîtrisait, plus que
de la tessiture. On a attendu longtemps avant
de participer aux spectacles: au début,
on ne chantait qu’avec le public pendant les
ateliers. Et le jour où j’ai eu le droit de monter
sur scène, j’ai eu une extinction de voix,
j’ai dû faire du play-back! C’était bien sûr
à la Gaîté, où nous avons donné des dizaines
de concerts, j’ai l’impression d’en connaître
chaque fauteuil, chaque recoin.
Un jour, nous avons participé à un
concours de chorales à Saint-Germain-en-
Laye, on a gagné grâce à nos spécificités:
le fait d’avoir des musiciens, les petites
chorégraphies – d’ailleurs, depuis qu’on
bouge davantage, on chante beaucoup
mieux – mais aussi notre répertoire fantaisiste.
Une de mes amies agrégée de lettres aimait beaucoup
nos chansons, et Même pas mal représentait
pour elle
l’esprit Voisins, alors que Jean-Marie a dit:
“C’est la chanson la plus bête que j’aie jamais
écrite.” Et surtout, ce qui nous distingue, c’est
le fait de faire chanter les gens. Je le prends
comme un moment de plaisir partagé, le
public apprécie beaucoup. Une amie avait
emmené à un de nos concerts sa maman,
qui était une vieille dame du XVIe très “comme
il faut”, elle était enchantée et trouvait que
c’était beaucoup moins ennuyeux que les
autres chorales.
Les concerts permettent de nouer un lien
particulier avec le public mais aussi entre
choristes. Les répétitions plus fréquentes
et plus sérieuses, les discussions dans les
coulisses, le fait de se maquiller ensemble,
de vivre ensemble un moment exceptionnel,
cela modifie les rapports entre les gens. Idem
pour les voyages: être dans un autre
environnement, découvrir de nouvelles
choses en cassant un peu les groupes
habituels permet de se rapprocher.
Les Voisins m’ont finalement apporté bien
autre chose que le plaisir de chanter. J’ai
retrouvé la mémoire du par coeur. Même si,
aujourd’hui, je mets un peu plus de temps,
les chansons que j’ai apprises restent
gravées. Et puis, à une époque, ça me
permettait de m’évader de mon quotidien.
Une année, mon père était malade, et mon
mari atteint d’Alzheimer. Même si j’avais
de gros soucis, j’arrivais en répétition ou en
spectacle, j’oubliais tout et ça ne m’empêchait
pas de me concentrer. Mon père est mort fin
mars, mon mari fin avril et, à la mi-mai, a eu
lieu le concert des 10 ans des Voisins. J’y suis
allée tout de même. Quelqu’un a dit que
j’étais une veuve joyeuse, mais je ne me
suis pas dit: “The show must go on”, je me suis
juste dit que ça ne servait à rien de rester
toute seule à me lamenter. Dans les
moments difficiles, on trouve dans ce groupe
un peu de réconfort car on s’y fait des amis
parmi des gens de tous âges. Tout cela aide
à se maintenir en forme.»
JACQUELINE BERTIN
«C
’est grâce à France Inter que j’ai
connu les Voisins. Un jour de 1997,
on annonce une émission sur les chorales. Je
ne prévois pas de rendez-vous ce jour-là
exprès pour écouter. C’était des chants
folkloriques, du classique. Oh là là! C’était
pas mon truc ! Mais au moment où j’allais
éteindre la radio, j’entends Mon amant de
Saint-Jean harmonisé de façon originale,
ça tranchait avec le reste. Et Jean-Marie,
en studio, explique qu’ils sont en concert
à la Gaîté tous les dimanches soirs. Avec
mon amie Angela, nous cherchions depuis
longtemps une chorale qui nous convienne.
Je l’appelle aussitôt pour lui proposer
d’y aller. Quand on a vu le rideau s’ouvrir
sur ces gens souriants, décontractés, en
chemises multicolores, on a tout de suite été
conquises. On y est retournées plusieurs
dimanches de suite. Un jour, j’y suis allée
seule et on a proposé à ceux qui
souhaitaient rejoindre la chorale de laisser
leurs coordonnées. Lorsque j’ai inscrit mon
amie, la jeune femme qui s’en occupait dit :
“Tiens, on chante une chanson qui s’appelle
Angela !” Je ne sais pas si ça a joué, toujours
est-il que nous avons été rappelées. On s’est
retrouvées rue Saint-Roch, où on nous a
expliqué
le fonctionnement de la chorale,
notamment le fait qu’il n’y ait pas de pupitre.
“Tu chantes dans ta zone de confort”,
nous a-t-on dit. Ça m’avait marquée,
car c’est le reflet d’un état d’esprit.
L’activité était incessante, entre les
spectacles dans les salles, les soirées pour
des associations, les prestations en plein air…
Il y avait un répondeur et il fallait appeler
pour savoir ce qui se passait.
Périodiquement, L’Écho des Voisins faisait
un point sur les spectacles en projet, et ceux
qui avaient envie de s’exprimer pouvaient
écrire des petits articles.
À la fin de la première saison, on a eu
le droit de chanter dans les squares. Une
grande première, chanter en public! On
changeait de quartier chaque week-end:
le Square Jean-XXIII, derrière Notre-Dame, le
parc Montsouris, Belleville, le square Willette,
au pied du Sacré-coeur… On se retrouvait
à chanter devant des familles avec leurs
enfants, des touristes, l’ambiance était
sympa. Mais il a fallu attendre beaucoup plus
longtemps pour monter sur de vraies scènes.
La Gaîté, c’était la récompense suprême!
La première fois que j’y ai chanté, on
commençait par un extrait du Magnificat,
c’était très intimidant. Derrière le rideau,
je serrais fort la main d’une autre choriste
pour me donner du courage! Ensuite, au fil
des concerts, j’ai pris de l’assurance, comme
tout le monde. D’autant que plusieurs
professionnels nous ont aidés à nous sentir
plus à l’aise sur scène, notamment Pascale Ruben et Jacky Nercessian. Il nous avait dit:
“Ne soyez pas trop focalisés sur les paroles,
associez-les à un soleil, une route, un ciel bleu,
etc.” J’ai une mémoire très visuelle, donc j’ai
illustré tous mes textes. Quand je suis
sur scène, je ris intérieurement, car je pense
à mes dessins, je lui suis très redevable,
j’avais trouvé ce conseil formidable.
À partir du moment où on était intégré
dans le groupe des plus aguerris, on avait
accès à des activités très variées. Par
exemple, on a enregistré des choeurs pour un
disque de Pierre Bachelet. Ça fait partie des
plus des Voisins. Quant aux concerts, ils
permettent de voir les théâtres sous un autre
angle: celui de coulisses. Au Châtelet, même
les
loges sont magnifiques, tout est d’une grande classe, y compris ce que le public ne voit pas. Au Casino de Paris, en revanche, pour le concert de soutien au Sentier des Halles, on avait pour loge une espèce de couloir décrépit où on voisinait avec les Têtes raides ou Sanseverino. Avec les émissions de télé aussi, on a vu l’envers du décor. Quand on est passé à Vivement dimanche, l’enregistrement a été fait avant l’émission et l’image a été rajoutée comme si on était dans le même studio que Drucker et ses invités. Une année, on a été conviés à chanter pour une émission de Noël sur TF1. On a été maquillés à 18 heures, on nous a donné un petit quelque chose à grignoter et, ensuite, ils nous ont fait poireauter jusqu’à 1 h 30 du matin. Le maquillage n’en était plus un, on n’en pouvait plus. Tout ça pour finir coupés au montage!» GILDAS THOMAS «J e suis auteur-compositeur-interprète, j’ai sorti trois albums. Auparavant, je faisais partie du groupe de chansons pour enfants Zut. C’est à cette époque, en 2000, que j’ai rencontré les Voisins. Quelqu’un m’avait parlé dans une soirée de cette chorale atypique qui passait à la Gaîté. J’y suis allé par curiosité et ça m’a emballé! J’ai adoré les textes, les mélodies et, surtout, le principe de faire chanter le public. Ce qui m’a marqué, c’est l’énergie terrible qui se dégageait de ce groupe. Ils étaient vingt-cinq ou trente, ce n’était pas la grosse artillerie mais ils avaient tous la banane! J’ai fait partie de la chorale de l’automne 2000 à l’été 2003. Si je suis parti, c’est que ce n’était plus un loisir, pour moi,
de venir chanter: je faisais ça toute la semaine. En revanche, je ne me sentais pas décalé, je trouvais que les gens se débrouillaient plutôt bien de façon globale. Individuellement, on s’en fiche, le principe d’une chorale c’est que le groupe sonne. C’est aussi un lieu de rencontre amicale, j’y ai d’ailleurs gardé pas mal d’amis. Ce n’est pas propre aux Voisins, les gens viennent chercher ça dans les chorales, car on peut s’y épanouir sans être jugé par le regard des autres. L’individu peut prendre son plaisir d’individu sans être mis en danger par le groupe. Il n’y a pas beaucoup d’activités comme ça. Et les regards pendant qu’on chante, les complicités qui naissent, c’est quelque chose de rare aussi. Cette activité rapproche les gens parce que, quand on chante, inconsciemment, il y a un fluide qui passe. La chanson est un dénominateur commun, libre à la communication non verbale de s’engager, indépendamment de cette concentration centrée sur le chant. On peut chanter en pensant: “Qu’est-ce qu’elle est mignonne celle-là!” ou “Il a l’air sympa, celui-là”, ça permet de capter un tas de choses en même temps. Lorsque je suis invité pendant les concerts, ça m’apporte du plaisir, ça m’amuse, et puis profondément, j’aime les chorales. D’ailleurs, je décline le concept des Voisins dans le Cantal. Depuis neuf ans, j’y vais un week-end par mois. Il y a vingt-cinq personnes qui viennent aussi pour se rencontrer, car même dans un village de 2000 habitants, ils ne se connaissent pas tant que ça.
J’ai repris la façon de faire des Voisins:
je suis à la guitare, on chante des chansons
harmonisées à deux ou trois voix, elles sont
apprises à l’oreille, sans partition.
Quand j’y suis, je pense souvent aux Voisins:
leur énergie m’inspire beaucoup.»
CLÔDINE COUZINIÉ
«J
’ai toujours eu envie de chanter. Je
n’avais jamais fait de musique, mais
j’ai rencontré mon mari en allant au cabaret
du Cheval d’Or, dont il s’occupait, et j’ai
toujours adoré ce qui se passait devant et
derrière le rideau… On chantait beaucoup à
la maison: Ferré, Mouloudji, Brel. Surtout,
nous avons côtoyé Brassens pendant
vingt ans. Comment ne pas avoir l’amour de
la chanson quand on rencontre quelqu’un
comme lui! Nous faisions les choeurs derrière
le rideau de Bobino pendant qu’il chantait.
J’étais même allée au Petit conservatoire de
Mireille et elle avait dit que j’avais une voix
intéressante. Mais je n’ai pas persévéré.
Beaucoup plus tard, j’ai découvert les Voisins.
Un de mes fils avait pour ami un garçon,
Pierre Funès, qui appartenait à la chorale, il a
d’ailleurs écrit une chanson du répertoire
. Il
m’a dit: «Viens à la Gaîté, je suis sûr que tu vas
adorer. Si c’est le cas, tu vas voir Jean-Marie et
tu pourras nous rejoindre sans problème.» À ce
spectacle, je me suis régalée: le côté gai, frais,
la bonne humeur m’ont vraiment plu. Et puis
on sentait une grande complicité entre tous
les choristes. Mais j’avais l’impression que
c’était inaccessible. Je me suis inscrite tout de
même, mais mes débuts ont été laborieux.
On répétait rue Saint-Roch avec notamment
Khalid et Agnès.
Je n’y arrivais pas et je pensais que
je n’y arriverais jamais: chaque
fois que je sortais d’une répétition j’avais
envie d’arrêter.
Ça ne sortait pas, ça a duré
un grand moment. Je n’avais pas l’habitude
de chanter à plusieurs voix et j’avais du mal à
mémoriser une chanson parfaitement. Je me
sentais mauvaise, et comme j’étais timide ça
n’arrangeait rien. En plus, Khalid me bloquait
plutôt qu’autre chose, les exercices qu’il nous
faisait faire ne me correspondaient pas. Mais
j’ai persévéré, car j’avais vraiment envie de
chanter, et, finalement, j’ai passé un cap. À
partir de là, j’ai pu chanter avec grand plaisir
et grand bonheur. D’autant que peu de
chorales vous donnent l’occasion de faire des
scènes comme on en fait aux VDD. C’est très
important, car donner un concert en public
nécessite de la rigueur et, tant qu’on n’en a
pas fait, on ne sait pas si le groupe chante
bien ou pas. Et puis c’est agréable aussi, de
monter sur scène. La première fois que ça
m’est arrivé, ma soeur m’a dit: «Pour une fois,
c’est toi qui es en vedette!».* Ce qui me plaît
aussi, c’est le partage avec les spectateurs
lors des ateliers. Quand on leur propose de
monter sur scène, beaucoup montrent une
timidité étonnante, mais ils prennent un
plaisir immense à chanter avec nous. Parmi
les moments que je garde en mémoire, il y a
les voyages: à Barcelone, à Peyrehorade, les
Voisins communiquent dix fois plus entre
eux, ça crée un lien différent. Quant aux
spectacles, bien sûr, il y a le Casino de Paris
où on a fêté nos 10 ans devant une salle
pleine à craquer. Cela dit, je trouve que le
concert de soutien au Sentier des Halles est
presque un plus beau souvenir. Être dans les
coulisses avec Nougaro, c’était exceptionnel!
Autre moment important pour moi: en 2012,
nous avons eu le plaisir de participer au
festival L’intégrale Brassens à la mairie du
IXe arrondissement.
Mais finalement, ce qui compte aussi, c’est
le quotidien, les répétitions avec Jean-Marie ou avec Jérôme et Stéphanie qui font un
boulot formidable. Ils sont épatants, avec
eux, on bosse, agréablement, mais on bosse,
c’est cadré. Jean-Marie est très bien secondé.
Et puis, surtout, j’apprécie de retrouver
chaque semaine mes amis et de rencontrer
des gens nouveaux. Ce n’était pas du tout
mon objectif au départ. J’avais une vie très
pleine, je travaillais, j’avais beaucoup d’amis,
encore un enfant à la maison, je suis venue
à la chorale uniquement pour chanter.
pour le plaisir de chanter et d’oser chanter.
Parce que le fait d’être dans un groupe
désinhibe, prouve à chacun qu’il est capable
de le faire et incite à essayer de s’améliorer.
Mais j’ai découvert que j’ai beaucoup de
plaisir à faire de la scène.»
Emmanuel: «De mon côté, je cherchais à
intégrer une chorale et j’avais passé des
auditions sans accrocher avec aucune.
Habitant près de l’Européen, j’avais vu une
affiche annonçant un concert des Voisins. J’y
suis allé par curiosité et j’ai trouvé l’ambiance
et l’image qu’ils dégageaient super sympa.
En juillet 2002, j’ai invité des amis à
m’accompagner pour les voir au Sentier
des Halles. La salle et la scène étant exiguës,
il y avait une vraie interaction avec le public et
puis toujours le même dynamisme, la même
diversité des choristes et j’ai vraiment
apprécié. Et ce jour-là, sur scène, il y avait
Florent. Je l’avais repéré. Je l’ai attendu à la
sortie pendant un bon moment, mais en
vain. Quelque temps après, j’étais en train de
surfer sur Internet et je tombe sur sa photo.
J’étais stupéfait, je lui envoie un message
pour lui demander si c’était bien lui que
j’avais vu sur scène.»
Florent: «J’appelle ma copine choriste:
“Tu sais quoi? J’ai un fan! C’est dingue, qu’est-ce
que je fais?” On était morts de rire.
Finalement, je réponds à Manu: «Puisque tu
me connais, autant qu’on se voie.» On se
donne rendez-vous le 14 septembre dans un
café et c’est le coup de foudre.»
Emmanuel: «Je suis venu aux Voisins
dans la foulée. Ce qui m’avait séduit en tant
que spectateur et qui m’a plus aussi en tant
que choriste, c’était la diversité d’âges, de voix
et on sentait derrière tout ça une diversité en
terme d’idées, d’orientation, de vie, c’est un
vrai melting-pot qui est intéressant.»
Florent: «On rencontre des gens en
dehors de ses réseaux habituels, amical ou
professionnel, c’est enrichissant et, en plus,
on a des rapports libres. Un jour, j’ai mis une
main aux fesses à Liliane, je ne pense pas
que dans toutes les chorales on fasse ça.
Cette liberté d’esprit se retrouve dans les
choix de répertoire ou de mise en scène.
C’est audacieux d’oser un répertoire original.
Et c’est ce qui nous convient parce qu’on
n’apporte rien dans un répertoire déjà connu.
Ou alors, il faut imaginer des choses
surprenantes: quand, à la Reine blanche, on
a commencé le concert dans le noir, répartis
dans la salle le long du mur, en chantant
Down in the river to pray, c’est pas le plus beau
gospel que le public ait entendu, mais ça a
plu parce que ça casse les codes. Idem pour
les reprises: quand on reprend des chansons
des Frères Jacques ou de Pierre Dac, ça
redonne vie à des morceaux méconnus et
c’est notre identité. C’est pour ça que je ne
nous considère pas comme une chorale, je
préfère dire un groupe vocal. Une chorale ça
ne joue pas avec des musiciens live et ça
reprend des trucs que tout le monde connaît.
Et puis dans une chorale, on ne fait pas tout
ce que nous permettent les Voisins et qu’on
n’aurait jamais pensé faire un jour dans notre
vie. Enregistrer des choeurs au studio
Guillaume Tell, celui dont le nom figurait sur
les pochettes des disques qu’on achetait.
Chanter en solo devant une salle pleine. Ou
prendre des gens par la main dans la salle,
leur apprendre nos chansons, descendre
l’escalier du Casino de Paris, avoir droit à une
standing ovation pour les 10 ans à la Gaîté,
être sur scène à Bercy avec les Enfoirés…
Grâce aux Voisins, on a fait ça, quoi!»
Emmanuel: «Toutes ces expériences te
donnent de l’assurance sur pas mal de
choses. Jean-Marie dit qu’il aime voir
comment les gens ont évolué au fil du temps.
Et c’est sûr que moi, entre le premier jour où
j’étais tout timide, osant à peine sortir un son,
et aujourd’hui où je monte sur scène sans
appréhension, il y a tout un monde.»
GILLES BISMUTH
«J
e suis arrivé en septembre 2001 par
des amis qui étaient choristes et qui
m’ont proposé d’aller les voir au marché de
Noël à Neuilly. Là, Jean-Marie me propose de
rejoindre la chorale. Je lui dis: «Je ne sais pas
chanter mais je taquine un petit peu la
darbouka». Khalid était sur le départ. Lui est
un musicien et moi un humble amateur. Mais
Jean-Marie m’a accueilli, avec son esprit
d’ouverture habituel: «Viens et puis on verra
bien.» J’ai participé à toutes les répétitions.
Pour ne pas faire trop de bruit, je mettais des
chiffons dans ma darbouka. Au départ, l’idée
de venir juste pour prendre du plaisir
ensemble me suffisait. Mais rapidement, ça a
pris une autre tournure. Un jour, je me
retrouve à faire un showcase à la Fnac pour
promouvoir la sortie de l’album Variété de
chanteurs, alors que la veille je ne savais
même pas ce que voulait dire showcase. On
fait la Gaîté, le Sentier, l’Européen, et j’ai
parmi mes proches des gens qui sont
musiciens bien meilleurs que moi, quand je
leur dis que je fais toutes ces salles, ils sont
épatés. Pour un percussionniste de gouttière
comme moi, qui n’a pas appris, qui joue à
l’oreille, c’est une aventure extraordinaire.
Parallèlement, je vis une période très difficile
professionnellement. En 2003, je suis licencié,
je passe un an à ne faire que de la musique.
Je prends des cours de batterie et répète tous
les jours en studio en prévision du concert du
Casino, pour les 10 ans, où je
Mais malheureusement, quand j’ai voulu m’inscrire
on m’a répondu qu’il y avait trop de monde et
j’ai rongé mon frein pendant des années.
Finalement j’ai insisté auprès de Gilles et j’ai
fini par rejoindre les Voisins à la rentrée
2006.»
Laurent Angeli y chante alors depuis un peu
plus d’un an. Lui aussi dégage quelque chose.
La tranquille assurance de celui qui fait son
boulot suffisamment bien pour ne pas avoir
besoin d’en rajouter. Certainement qu’en
milieu hostile, sa devise serait: «Bien faire et
laisser dire». Aux Voisins, c’est peut-être: «Bien
faire et laisser se taire», car on ne le remercie
jamais assez du temps et de l’énergie qu’il
passe au service du site
www.lesvoisinsdudessus.com qu’il a conçu et
dont il est le webmaster. Des nouveaux
inscrits à ajouter au trombinoscope? Un fichier
mp3 à intégrer pour que les choristes puissent
répéter à domicile? Une captation de concert
à diffuser? Laurent dégaine sa souris et les
choses se font comme naturellement, toujours
à temps, sans bavure. Pourtant, lui aussi a
d’abord été rejeté! «Une amie m’avait invité à
venir voir le concert des 10 ans au Casino de
Paris. Lors de l’atelier, j’ai voulu monter sur
scène, mais Michel Buzenac m’a mis la main
sur l’épaule pour m’empêcher de monter, car il
y avait trop de monde. J’étais le premier
refusé. Mais j’avais adoré ce qui s’était passé
pendant ce concert, je m’étais senti porté par
cette énergie. Peu après, une amie qui
connaissait les Voisins m’a dit: “J’ai envie de
m’inscrire, viens avec moi.” C’est ce qu’on a fait,
mais elle n’est jamais revenue.
Elle avait fait ça
pour m’attirer, car ils cherchaient des garçons
et j’étais trop timide pour y aller seul!»
Au printemps 2007, alors qu’il discute
amicalement avec Françoise, la fille de Nancy Cuyeu lance: «Oh les amoureux!» Un
sixième sens enfantin, sans doute. En
novembre 2013, Françoise et Laurent célèbrent
la sixième union 100% Voisins avec, parmi leurs
témoins, Michel Buzenac et Jean-Marie Leau.
PIERRE BOUGIER
ET LAURENCE BIRON
L
es premières années, chaque nouvel
arrivant aux Voisins du Dessus se voyait
attribuer un parrain qui le guidait dans ses
débuts de choriste. L’usage est tombé en
désuétude, mais quelques anciens, de leur
propre chef, vont à la rencontre des
nouvelles recrues, les mettent à l’aise,
leur donnent les codes – l’absence de
pupitre, les méthodes d’apprentissage,
le fonctionnement de l’association – afin que
l’intégration se déroule en douceur. Pierre
Bougier fait partie de ces personnes
réconfortantes qui accueillent les nouveaux
un peu perdus avec le sourire et les saluent
par leur prénom dès les premières
répétitions. «Les gens qui arrivent sans
connaître personne, pour certains, tu vois
bien que si tu ne fais pas la démarche d’aller
leur parler, ils vont repartir, ce serait
dommage. Théoriquement, ça fait partie de
l’esprit de ce groupe d’intégrer tout le
monde…» Comme de nombreux choristes,
c’est au Bal moderne que Pierre a découvert
les Voisins.
«A
vec une amie, nous avions cet
événement dans notre abonnement
à Chaillot. L’idée d’apprendre une
chorégraphie nous plaisait et on a découvert
la chorale sur place. Ça nous a beaucoup plu
à tous les deux. Comme on sortait tous les
soirs, quand on a vu que les Voisins se
produisaient à la Gaîté, on s’y est précipités et
on a adoré. Lors des ateliers, on n’entendait
pas du tout ce que les autres groupes
répétaient, donc le résultat était surprenant,
ça participait au plaisir du moment. On
appréciait aussi le fait de monter sur une
vraie scène – on a toujours envie de voir ce
qui se passe de l’autre côté – et de pouvoir
communiquer avec les auteurs des chansons.
On y est retournés tous les quinze jours
plusieurs années de suite. Ensuite on les a
vus au Cabaret sauvage, à La Villette.»
D’autres amis sont alors de la partie, dont
Laurence Biron: «Ce qui était formidable
c’est l’énergie qui se dégageait du spectacle,
le côté comédie musicale un peu barrée, car
ils étaient en sorties de bain multicolores. Et
puis les choristes qui nous aidaient à chanter
pendant l’atelier le faisaient de façon
hyperchaleureuse. À ce moment-là, le
recrutement était ouvert. Ça tombait bien
parce que, avec Pierre et quelques autres, on
voulait quitter notre chorale de gospel. On
faisait des recherches pour en trouver une
nouvelle mais c’était déprimant: on se
retrouvait dans des ambiances
hypercoincées, avec des choeurs qui
chantaient assis dans des églises.» Début
2005, le groupe rejoint les VDD. Pierre:
«Nous avions décidé d’arrêter le gospel et la liberté des Voisins
nous a plu. Le fait qu’il n’y
ait pas de pupitre, qu’on ne soit pas cloisonné
à un type de voix, que chacun puisse se
mettre avec qui il voulait, c’était appréciable.
L’apprentissage par coeur aussi: ça permet de
bouger, c’est plus souple, moins guindé. Et
puis l’accueil était chaleureux: Agnès, qui
faisait répéter, était vraiment cool. Ensuite,
Jérôme et Stéphanie l’ont remplacée. J’ai
beaucoup discuté avec eux sur la façon de
faire entrer les gens dans la répétition, les
exercices de respiration, qu’on avait appris au
gospel, les méthodes pour arriver à une
certaine concentration. Au début, ça a
déconcerté certains choristes, mais ça
fonctionne bien. Ce que j’apprécie aussi c’est
la cohérence entre ce qu’on chante et ce
qu’on fait. Il y a un côté humain qui ressort
dans des chansons type Turbulente rhapsodie ,
et, ce côté-là, on le concrétise par l’accueil de
tous et les ateliers. Et puis, il y a un bon
équilibre dans nos prestations: on ne se
prend pas pour de grands chanteurs, mais
les spectacles sont de qualité, ça ne fait pas
kermesse.» Pour preuve, les Voisins ont tout
de même foulé la scène de Bercy…
Laurence: «Les Enfoirés, c’était un moment
hyperintense, unique. Mais on a aussi chanté
avec Jean-Jacques Goldman pour l’association
ELA (Association européenne contre les
leucodystrophies), l’année précédente, c’est
Michael Jones qui nous accompagnait. Et on a
côtoyé plusieurs autres associations,
notamment celle dédiée à Laurette Fugain.
Pour l’aider à se faire connaître, on a chanté
dans la rue, de l’hôpital Saint-Louis jusqu’à
l’Hôtel de ville. Ces prestations hors des salles
de spectacles permettent un autre rapport
au public. À une époque, on a investi l’espace
Jemmapes plusieurs dimanches après-midi
de suite, il y avait un marché, des expos, les
gens s’arrêtaient pour nous écouter, c’était
plaisant. C’est intéressant, cette variété
des prestations. Les concerts, mais aussi
l’enregistrement du disque pour enfants ou
de la mosaïque qui a servi de maquette pour
pouvoir promouvoir l’idée de e-Jam.
C’est ce qui m’amuse chez Jean-Marie,
il cherche toujours des idées novatrices.
Tout ça, ce sont de chouettes trouvailles
des Voisins, dans les autres chorales on a
un concert à la fin de l’année, point barre.»
BÉATRICE D’HERBÈS
21 avril 2002
«A
près le devoir citoyen, ce soir c’est
le plaisir: je vais avec une voisine
égyptienne à un concert des Voisins du
dessus car je chante moi-même en choeur
depuis mon enfance et souhaite voir de quoi
est fait ce groupe-là.
Alors que nous sommes dans le hall
de la Gaîté nos billets à la main, attendant
l’ouverture des portes, la nouvelle tombe
sur les portables: Le Pen est passé au
premier tour de la présidentielle. C’est la
stupeur, la sidération, les têtes s’allongent et
on peut facilement repérer ceux qui, voulant
donner une leçon aux socialistes,
ont éparpillé leur vote…
Mais «the show must go on» et le spectacle
n’attend pas. Les portes s’ouvrent et la salle se
remplit dans un brouhaha qui n’est pas
joyeux. Les Voisins arrivent, cintrés dans des
peignoirs de toutes les couleurs, comme
avachis un lendemain de fête. Ça va bien avec
l’humeur du moment, ils ont l’air de se
réveiller d’un cauchemar, dégrisés, comme
nous tous. Jean-Marie Leau donne le ton:
«Nous aussi on sait. La nouvelle est arrivée
jusque dans les coulisses. Alors ce soir, on va
chanter avec encore plus de force, plus de voix,
plus de coeur parce que ce qu’on raconte ici, c’est
vous, c’est nous, c’est tous ceux qui ne croient
pas que le repliement sur soi et la peur de l’autre
sont des solutions. C’est ça dont on a envie
de vous parler: le plaisir de vivre ensemble,
de partager la musique, la fête, la vie!»
Au moment de l’atelier, sur Bal moderne,
les voix des spectateurs, d’abord timides,
émergent puis s’affirment. Nous sommes
les baladins d’un soir, créateurs de vie et
d’énergie, capables de renverser la dictature
du racisme et de clamer haut et fort que la
différence est une chance. Et ça me touche
en plein coeur bien sûr car, étant moi-même
“décalée”, je me reconnais dans cette
mosaïque chantante. Ma voisine égyptienne
jubile…
Une chanson prend une teinte particulière,
elle se termine sur ces mots: «Vivre sur la
planète, faire ce que l’on peut pour être soi.»
Je ne sais pas encore que je chanterai cette
chanson sur scène moi aussi quelques
années plus tard, et qu’en portant ma
différence sur le plateau, je donnerai raison
à tous ceux qui portent fièrement la leur…
13 avril 2013
Cela fait six mois que je chante avec les
Voisins. Je me suis fait ma place, avec mes
béquilles, ma petite taille et ma voix. Je suis
un petit carré de la mosaïque musicale
maintenant, et je me sens chez moi en
chantant ce répertoire dont les mélodies et
les paroles font du bien à l’âme et accrochent
un sourire sur les visages de notre public.
Comme je suis aussi membre de
l’Association de l’ostéogénèse imparfaite
(AOI)*, j’ai proposé aux Voisins d’en animer
les journées annuelles. Et me voici entre ces
deux groupes qui ont une place importante
dans ma vie et dans mon coeur: d’un côté les
Voisins qui, depuis six mois que j’y chante, se
sont familiarisés à mon drôle de gabarit, de
l’autre, les membres AOI qui me ressemblent,
déformés dans leur corps à la suite
d’innombrables fractures. Ils entrent dans la
salle, qui en fauteuil, qui avec des béquilles,
claudicant, tous dépassant à peine la taille de
petits enfants… une vraie cour des miracles.
Et la peur me saisit: alors que j’ai été
témoin de l’accueil des Voisins, je doute
encore de leur capacité à “absorber” la
situation, parce que, dans nos petits corps
malades restent inscrits les moqueries de
l’enfance, les exclusions de jeux accessibles à
tous les autres et le discours social qui nous
suppose inaptes au travail, à la joie, à
l’amour… Et pourtant, mes petits copains de
l’AOI pètent le feu. En réponse à l’adversité du
handicap, ils ont souvent une énergie qui les
honore et une vivacité d’esprit et un humour
qui séduisent leur entourage. Ils ont des
familles qui les chérissent, des potes, des
amoureux, se marient, ont des enfants.
Et le «choc» a lieu.
Quelques accords de guitare et on
démarre. Le public est attentif, amusé puis
totalement ravi. Pour l’atelier, les Voisins
s’éparpillent au milieu des fauteuils,
s’accroupissent pour faire couler leur voix
dans les oreilles des «petits OI», plusieurs
dizaines de centimètres plus bas. La magie
opère, la musique fait des passerelles, le son
émerge de toutes ces voix mélangées. Les OI
savent ce que chercher «le côté du mur au
soleil» veut dire et cette chanson éclate avec
une joie incroyable.
Au moment de chanter Turbulente
rhapsodie , je réalise que cette chanson n’a
cessé de m’accompagner depuis que je l’ai
entendue pour la première fois. Être soi: c’est
un vrai combat pour nos petits corps tordus,
car nous n’avons pas à nous excuser de nos
difformités alors que le regard des autres
nous accuse… Ceux qui rejettent la différence
sont peut-être ceux qui, justement, ont du
mal à exister pour ce qu’ils sont, à accepter
leurs propres failles et à être bienveillants visà-vis de celles des autres…
Je vois tous mes petits copains dans le
public. Je sais ce que “faire ce que l’on peut pour être
soi” veut dire pour eux tous, car je
l’ai expérimenté pour moi. Je suis fière, très
fière d’eux, de moi, et des Voisins qui, sans
stigmate physique particulier, sont aussi,
comme tous les humains, confrontés à ce
grand défi: exister pour ce que l’on est,
s’avancer, unique, droit dans ses bottes et
participer à cette drôle d’aventure humaine
en y apportant son talent singulier.
Notre talent de Voisins du dessus, c’est
d’exister pour ce que nous sommes, comme
nous sommes, et de témoigner par notre
chant qu’il est bon de nous entremêler les
uns les autres pour nous enrichir de nos
singularités.»
* L’ostéogénèse imparfaite est aussi
appelée «maladie des os de verre».
JOËL ANDLAUER
«E
n 2012, je me suis séparé de ma
femme, j’étais en pleine dépression
et je cherchais des activités pour éviter de
m’enfermer sur moi-même. Le théâtre
m’attirait. J’appelle donc un ami qui est
comédien, pour lui demander conseil. Il ne
connaissait pas les compagnies amateurs
mais m’a suggéré de m’inscrire aux Voisins
du dessus. Il avait fait partie de la chorale
pendant quelques années.
J’étais réticent au départ: être sur scène
m’attirait, car j’avais eu une expérience au
Club Méditerranée à travers les spectacles et
les sketches, mais je ne sais pas du tout
chanter. Mon ami m’a rassuré en me
décrivant cette chorale d’amateurs où il n’y a
pas de casting, où les gens sont surtout là
pour se faire plaisir et où on leur apprend à
bien placer leur voix, à sortir de l’énergie face
à un public. J’étais curieux de voir ce que
c’était parce que j’avais besoin de rencontrer
du monde, d’avoir des énergies nouvelles,
j’étais tellement mal… Je me rendais compte
que, à chaque fois que je découvrais des
univers nouveaux ou que je m’orientais vers
des chemins qui m’avaient attiré à une
époque de ma vie mais que je n’avais jamais
pris, ça allait mieux.
J’ai envoyé un courriel et on m’a proposé
de venir à une répétition. Dans les premières
minutes, je me sentais un peu perdu, mais
l’attention de Stéphanie m’a beaucoup
touché. Et plusieurs choristes, dont Pierre et
Laurent, m’ont tout de suite encadré. Leurs
voix m’ont porté et comme je ne suis pas
timide de nature, je me suis lancé.
D’autant que Jérôme m’a encouragé:
“Lâche-toi, tu verras, ça va aller!” Il y a un côté
magique dans le fait d’arriver à chanter quand
tu penses que tu ne sais pas le faire. Et puis je
trouvais les textes rigolos, certains émouvants.
Je n’ai pas vu passer les deux heures.
Depuis, techniquement je pense avoir
progressé. Et Ariane Goignard, qui a mis en
scène les spectacles donnés à l’occasion des
20 ans des Voisins, a apporté le côté théâtre
que je cherchais. Sans compter qu’elle a une
empathie extraordinaire avec les gens. Ce
dont elle parle, elle le maîtrise vraiment et,
face à quelqu’un qui se braque, elle sait
mieux que quiconque faire tomber la
pression. J’apprécie beaucoup aussi le
concept de l’atelier. Il y a un partage, de la
générosité, tu n’es pas au micro en train de te
prendre pour je ne sais pas qui. C’est un
vrai
échange. D’une manière générale, les
Voisins sont des gens assez humbles, pour qui cette
notion de partage signifie quelque chose.
Ça m’a fait du bien aussi de rencontrer
toutes ces nouvelles personnes, qui ne me
connaissaient pas du tout et de la part
de qui je ne sentais aucun jugement, comme
ça pouvait être le cas quand je revoyais
des amis connus avant ma séparation.
Humainement, c’est génial. Il y a deux ans,
je me suis dit: “Comment je me reconstruis?
Comment tu refais ta vie à 52 balais?” Et il y a
des Voisins avec qui, petit à petit, une amitié
peut s’installer. J’ai découvert de belles
personnes, humainement, artistiquement.
Des gens qui te permettent de comprendre
qu’il y a autre chose.»