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Des voisins
parmi d'autres

L’histoire commune de la chorale est tissée
de destins singuliers. Paroles de Voisins
d’hier et d’aujourd’hui.

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SÉVERINE VINCENT S a voix cristalline est familière aux enfants des années 1970. Elle fut l’interprète d’Émilie dans le conte musical de Philippe Chatel, Émilie jolie. Quinze ans plus tard, Jean-Marie Leau fait appel à elle pour l’aider à mettre sur pied Les Voisins du dessus.
«J e suis comédienne, mais j’ai aussi beaucoup chanté. J’ai rencontré Jean- Marie par un ami commun qui était son producteur et qui m’a connue toute petite. On est devenus très amis, on a travaillé ensemble à plusieurs reprises et il me faisait beaucoup écouter ses créations. Un jour il me dit: “J’ai envie de faire chanter les gens.” C’était très flou, tout ce que je savais c’est qu’il détestait les chorales À coeur joie et leur côté patronage de petite ville de province où les notables viennent pousser la chansonnette. En tout cas, j’ai dit banco et ça a commencé sur les chapeaux de roue. En même temps, il y a eu des cafouillages au début. Quand on a fait le Casino de Paris avec Gotainer, quelques comédiens ont dit: “Ça ne m’amuse plus qu’on utilise mon image, mon talent, sans me payer.“ Idem pour le premier album: c’était une chouette expérience, mais ça devenait un produit, un groupe comme un autre. Heureusement, une deuxième vague a commencé à déferler: les amis d’amis, qui n’étaient pas des gens du métier. Nous sommes revenus à la source de ce qu’on voulait faire: accueillir tout le monde. La non-sélection a été un principe dès le départ. Il y avait vraiment de tout, des gens qui chantaient comme des casseroles, personne ne lisait la musique, certaines répétitions étaient un désastre total. Ce qui a détendu ça, c’est la mise en place du Bal moderne. D’un seul coup, ça obligeait les dilettantes à se mettre au boulot, car, pour faire travailler, le public, il fallait être compétent. Après le Bal moderne, les effectifs ont explosé, il a fallu former plusieurs groupes, chacun répétant à un moment différent. Je suis partie, car ça devenait trop prenant. Mais cette expérience m’a appris la rigueur nécessaire pour diriger un groupe, et en même temps la diplomatie qui doit aller avec, ce n’est pas toujours évident quand on a 25 ans. Donc ça a été formateur et en même temps très plaisant. Quand on brasse soixante personnes, ça grince parfois, mais globalement l’ambiance était très joyeuse. C’était chouette de voir des gens de mondes très différents qui devenaient de vrais amis. Chanter positionne les gens de façon assez égalitaire, c’est libérateur, c’est fédérateur.
Sans Laurence Tordjman ou sans moi, les Voisins n’auraient pas ressemblé à ce qu’ils sont. On a contribué à construire le répertoire, à apporter cette couleur musicale particulière due à l’absence de pupitre. Et, surtout, Jean-Marie ne se serait pas lancé seul dans cette aventure. Mais il l’a poursuivie avec constance. Je n’imaginais pas du tout qu’un jour on fêterait les 20 ans des Voisins du dessus. Pour moi, c’était une parenthèse, une expérience artistique amusante à vivre.» VALÉRIE PERRIN L ongtemps, Jean-Marie Leau et elle se sont levés de bonne heure. Et retrouvés au coin d’un boulevard parisien pour enfourcher leur bicyclette et admirer le lever du soleil à l’heure où Paris s’éveille.

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«On chantait en permanence sur nos vélos et Jean-Marie m’a parlé de son idée de réunir des chanteurs de salle de bain. Quelque temps plus tard, il m’a appelée pour m’annoncer la naissance des Voisins du dessus et me proposer de les rejoindre. On était dix-huit au départ. Dès la première année, on a enregistré Le chant des partisans, c’était hyperintense émotionnellement et une expérience unique, c’est la première fois que je rentrais dans un studio. Peu après, on s’est retrouvés au Casino de Paris avec Gotainer: le premier spectacle,

les répétitions avant pour tout border, le trac qui arrive… De toute façon, les Voisins, ce n’est que ça, des expériences uniques. Rapidement, l’effectif a grimpé et l’activité avec, on était cent cinquante, on n’arrêtait pas, la Gaîté, les kiosques, les gares… On a quand même beaucoup bossé, mine de rien, parce que c’était aussi toujours le même petit noyau qui s’occupait d’encadrer les nouveaux et de faire chanter le public au théâtre. On était à fond dedans, très investis. Quant à moi, lorsque Séverine Vincent et Laurence Tordjman sont parties, je suis devenue en quelque sorte le bras droit de Jean-Marie. Je connaissais toutes les voix, je les avais enregistrées avec lui sur les cassettes qu’on donnait aux choristes pour qu’ils répètent chez eux, je me suis aussi occupée du secrétariat de l’association. À un moment, j’ai eu besoin de disparaître, pour des raisons personnelles. Mais ça a été une expérience extrêmement forte, vraiment !
Pour moi chanter c’est un peu se foutre à poil et exprimer ce que tu as au fond de toi, il y a une sorte d’impudeur et de mise à nu. Quand tu es entourée de gens bienveillants, ça crée du lien. Tu lâches tout, tu y vas, tu es avec les autres, tu es en confiance. Ça facilite la naissance d’amitiés. On partait régulièrement en vacances chez les uns ou les autres, on a organisé des pique-niques géants de cent cinquante personnes au parc de Sceaux. Ce qui se passe dans ce groupe, je n’ai pas l’impression que tu peux trouver ça ailleurs. Les Voisins, c’est un truc de partage, de rencontres, d’émotion. C’est une histoire d’amour.»

Agnès Brabo Elle a été une figure des Voisins du dessus. Pendant des années, Agnès Brabo a accueilli les nouveaux, leur a appris le répertoire, les a rassurés lors de leurs premières scènes. Elle avait même organisé une répétition hebdomadaire dans son salon… Musicienne avertie, elle est, selon Valérie Perrin, «d’une douceur infinie, d’une patience incroyable, très délicate, discrète et à l’écoute». Pendant une dizaine d’années, jusqu’à son départ au milieu des années 2000, elle s’est donnée sans compter à la chorale. Une expérience qui a

«radicalement changé [sa] vie. La rencontre avec un public qui chante apporte beaucoup d’énergie. On arrive fatigué, on ressort ragaillardi. L’idée géniale, c’est de dire que tout le monde peut chanter, en accueillant les choristes sans distinction et en permettant au public de monter sur scène. Souvent, on a l’impression qu’une scène c’est inaccessible, c’est l’Élysée, c’est la lune. C’est intéressant de sentir ça sous ses pieds un jour et de le partager sans en abuser, c’est-à-dire en laissant les artistes à leur place. Je le vois comme un geste d’ouverture, un partage merveilleux. Comme l’est le chant choral en lui-même. Quand on chante ensemble, on est ouvert l’un à l’autre. On a comme un objet transitionnel, quelque chose en commun. Ce qui compte c’est l’échange qu’on a autour de cet objet-là, ce ne sont pas nos opinions, nos façons de vivre, non, c’est uniquement le chant, cet objet de partage.» MARIE-FLORENCE GROS «J ’ai d’abord rencontré celle qui était à l’époque l’épouse de Jean-Marie. Un jour, je la ramène chez elle, elle me propose de me le présenter. Pourquoi pas ? Ils habitaient au dernier étage d’un immeuble, elle ouvre la porte, il y avait vingt personnes dans l’appartement et elle lance : “Ah, les Voisins du dessus sont là ce soir!” Je reste totalement interdite, me disant : “C’est quoi ce délire, il y a des gens qui habitent sur les toits?” Entre autres activités, j’écrivais des chansons*. Avec Jean-Marie, nous avons décidé d’en écrire ensemble et j’ai rejoint les Voisins.
À l’époque, je n’aurais jamais été dans le public: je n’aimais pas la chanson française, à quelques exceptions près. Mais je ne me suis pas positionnée par rapport à ce qu’ils chantaient, s’ils avaient chanté du rock ça aurait été pareil. Ce qui m’amusait c’était l’aventure humaine et le fait que Jean-Marie, avec qui je m’entendais très bien, était en train de construire quelque chose d’inédit. image non disponible Il a vraiment porté son projet à fond avec tout l’enthousiasme qu’il pouvait avoir, un investissement personnel fort, quelque chose de généreux. J’aimais la folie de cette idée, le groupe avec sa diversité, ses caractères complètement différents, avec les limites que ça pouvait avoir aussi.»
De cette folie et de ces limites, Marie-Florence parle plaisamment dans un numéro de L’Écho des Voisins de décembre 1997. «Il peut arriver que l’humeur des Voisins fasse de la tachycardie, mais grosso modo, je la trouve naturellement penchée vers la rigolade. Et ça me plaît. C’est vrai que les aventures de Leau, Zette et Jocko chez les Popov, les fenouillardises de la famille Voisins à la Gaîté et autres piednickleries ont curieusement apporté un peu d’amidon chez les volatiles: on sait maintenant qu’il faut être plus pros dans notre pagaille naturelle. Mais, moi, j’aime bien quand même qu’on garde du vent dans les plumes et du bazar entre les oreilles. Alors pour rester sur le fil sans prendre le jus, je me dis qu’il faut que chacun arrive à mettre de l’ordre chez soi sans perdre le goût du désordre, surtout de celui des autres. Et puis je voulais dire merci à ceux qui ont le génie de garder le sourire même quand les fils chauffent, qu’il y a des sautes de voltage et des ruptures de courant: je ne les nommerai pas parce que ça ferait fin de spectacle et que je ne sais même pas comment on écrit Roger Hart et Donald Cardwell.» * Marie-Florence Gros a, depuis, écrit les textes de nombreuses chansons, notamment pour Patrick Bruel. KHALID K K halid K est un magicien de la voix. C’est le seul instrument qu’il utilise dans ses spectacles, au cours desquels il est capable de vous emmener au bout du monde sans prononcer un mot. «J ’ai rencontré Jean-Marie pour des raisons professionnelles, à une époque où j’avais déjà poussé très loin la recherche vocale : au cours de performances, je faisais chanter au public

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des onomatopées, des chants tribaux. Il m’a proposé de venir à une répétition, voir si je pouvais apprendre des choses aux Voisins. J’ai commencé à leur faire faire des exercices vocaux plutôt décalés, des étirements, des bâillements, et le contact s’est établi très rapidement. Quand je me suis placé en face d’eux, j’ai senti une réaction: “C’est qui celui-là, qu’est ce qu’il nous veut?”, une espèce de résistance de groupe impressionnante. Mais, en cinq minutes, ça a été cassé, tout le monde a vu que je n’étais pas méchant et que ma proposition était plutôt délirante. La plupart ont adhéré et vu que ça faisait beaucoup de bien de détendre le corps, d’être dans le mouvement, de lâcher le souffle. C’était rapide, efficace, simple, on travaillait sur l’émotion, les blocages. J’arrivais à accompagner les gens comme un chaman. Quand on est planté devant quarante personnes à leur faire émettre des sons, on reçoit quelque chose d’une puissance incroyable, c’est un bulldozer. J’ai eu cette chance de pouvoir jouer avec ça. Puis Jean-Marie m’a proposé d’accueillir les nouveaux venus à la séance du mercredi. Il m’a donné carte blanche, alors qu’on se connaissait très peu. J’ai dû apprendre toutes les voix et j’accompagnais à la guitare. Pendant les concerts, je jouais des percussions. Puis j’ai dû tout arrêter, car j’ai commencé à tourner avec mes spectacles.
Chez les Voisins, j’ai apprécié cette belle énergie des retrouvailles, les gens laissaient leurs soucis à l’extérieur et venaient dans cet espace où on sentait qu’il y avait quelque chose de précieux pour chacun, pour son bien-être. C’était une façon de s’évader mais aussi d’avoir une pratique semi-pro, car Jean-Marie proposait toujours des interventions d’assez haut niveau. Pourtant, côté niveau musical, il y avait de tout : des gens qui se débrouillaient très bien, d’autres qui chantaient faux mais qui étaient sympas, parlaient à tout le monde. On leur disait : “Chante moins fort, t’es complètement à côté” et ils avaient leur place. Je me souviens d’une petite dame qui chantait avec une voix fluette, vraiment faux, mais elle arrivait toujours avec des petits gâteaux et elle faisait partie de l’ambiance. C’est ça qui était fort chez les Voisins : pouvoir intégrer les gens quel que soit leur niveau, sans critère de jugement. Et c’est encore plus vrai avec les ateliers. Le fait de chanter ensemble va complètement contre la tendance dans

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notre société qui est une addition de solitudes. Là, on s’unit pour partager cette matière qu’est le chant. C’est précieux. On a perdu l’habitude de chanter ensemble pour célébrer la mort du roi, l’arrivée de la pluie, le temps des moissons, et les Voisins permettent ça. Ce groupe retrouve cette énergie qu’on avait avant, de rassembler nos voix pour trouver autre chose. C’est comme un petit village avec les jeunes, les vieux, personne n’est exclu, tout le monde se réunit pour fêter quelque chose. Quand on se retrouve à la Gaîté, c’est encore mieux, c’est comme si toute la ville venait pour chanter.» ÉLIE ABÉCÉRA «J ’ai un passé artistique : j’ai fait le cours Simon, appartenu à une compagnie théâtrale, joué un peu de musique. Mais quand mon ami Patrick Zeff m’a proposé de rejoindre les Voisins, en 1996, je n’étais pas très enthousiaste. Finalement, je me suis laissé convaincre et j’ai bien fait. Je n’étais pas fan du répertoire, c’est le cas de beaucoup de gens, ce n’est pas ça qu’on va chercher aux Voisins. Je connais bien d’autres chorales qui m’auraient davantage correspondu de ce point de vue. Cela dit, ce répertoire-là, je l’ai chanté pendant sept ans et de tout mon coeur. Mais ce qui m’a séduit, c’est cette idée: on va apprendre aux gens à chanter nos chansons. Et puis il y a eu la personnalité de Jean-Marie, car on reste aussi dans une cantine pour les gens qui font à manger et c’est un super-bon cantinier.

J’ai en tête des images, à la Gaîté, où il m’écoute chanter et il a une espèce de regard perçant, le regard du “repéreur“ qui se dit: “Il chante plutôt bien”. En 1998, j’ai commencé à jouer avec Stéphanie Blanc. J’étais auteur-compositeur-interprète. Et dès qu’on s’investissait un minimum, Jean-Marie nous prêtait la scène pour quelques chansons. Il avait ouvert ça de manière généreuse, pleine de confiance. Au bout d’un moment, je jouais des oeufs de percussion, puis quand Khalid est parti, il m’a confié un djembé. Je n’en avais jamais fait mais j’ai le sens du rythme et c’était un jeu assez minimal. J’étais encore là quand le tournant a été pris, quand il y a eu les premières velléités de faire des mises en scène avec le Châtelet, la Cigale. Dès cet instant, ça m’a moins intéressé. Ce qui me plaisait vraiment, c’était l’interaction avec le public. On lui a fait apprendre des chansons très compliquées, ça marchait parce que les gens avaient envie. Et ils repartaient chez eux avec une telle banane qu’on était les plus heureux du monde.

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À l’époque, la chorale était en devenir. Quelqu’un qui arrive aux VDD aujourd’hui trouve un Jean-Marie parfaitement dans ses bottes et qui connaît par coeur ce qu’il fait. Moi, je l’ai vu en train de découvrir lui-même ce qu’il était en train de faire. Il avançait sans but très précis et, au fur et à mesure, le truc se dessinait sous ses doigts. Un jour, il nous avait fait un petit speech à la Gaîté pour nous remercier, nous dire combien cette expérience le transportait, le changeait luimême. Pour nous expliquer qu’il ne savait pas très bien ce qu’il avait dans les mains au début et qu’au fur et à mesure il se retrouvait avec quelque chose qui prenait une forme et une couleur incroyables et il avait fini très ému. Les choristes aussi, cette expérience les a transformés. J’ai vu des gens changer, grandir, aller au-delà de leurs blocages, faire des progrès, s’affirmer, j’ai vu des histoires d’amour, des histoires humaines immenses. Et moi aussi, j’ai vraiment grandi, entre autres parce que Jean-Marie a posé ce regard sur moi.» VINCENT MOULUQUET «J ’ai rencontré Jean-Marie dans un restaurant où je travaillais, ayant mis mes études en stand-by. Il habitait à côté, c’était un peu sa cantine et on plaisantait ensemble, on s’entendait bien. Il nous a proposé, à l’autre serveur et à moi, de rejoindre les Voisins: “Je viens de créer une chorale, est-ce que ça vous dirait de venir vous amuser une fois par semaine?” Tout de suite j’ai apprécié l’ambiance conviviale. En revanche, je n’y allais pas pour le registre, je n’en suis pas fan, la chanson française n’a jamais été ma came. Cela dit, c’était vraiment intéressant d’assister en direct au travail de Jean-Marie, de voir comment sur une chanson par le travail fait sur les choeurs, l’harmonisation des différentes voix, il arrive à sculpter un enrichissement qui fait que la chanson tient debout. Et puis, surtout, c’était l’aventure humaine qui m’attirait. On n’était pas tous copains, il y a des affinités électives forcément, mais à force de se retrouver de manière hebdomadaire, de vraies amitiés naissent. C’était le cas entre Jean-Marie et moi, je suis devenu le parrain de sa fille.
On s’est retrouvés très rapidement à connaître des expériences hors normes. Tu bosses dans un restaurant, tu as 23 ans, tu entres dans une chorale pour t’amuser et tu te retrouves dans un studio à enregistrer un album. Et, ensuite, à chanter au Casino de Paris devant 1600 personnes. Et, dix ans après, c’est nous qui remplissons la même salle. Les dix premières années aux Voisins, c’était une succession de cadeaux. Tout ça, ça donne un relief étrange à ta vie. On était amateurs, mais tout le monde avait envie de bien faire et ça, c’est un ciment assez fort. Comme il y avait des enjeux réguliers, ça recadrait ceux qui avaient tendance à venir en dilettante. Pour autant, on était plutôt en confiance, car Jean-Marie a cette qualité de ne pas faire peser de pression inconsidérée. À un moment, Jacky Nercessian, qui présentait nos spectacles, n’a pas pu continuer, pour des raisons professionnelles. On devait faire un mois de spectacles au Sentier des Halles, Jean-Marie m’a appelé le lundi pour le remplacer le mercredi. C’est une de ses qualités ou une de ses folies: je n’ai jamais fait ça, mais il me le propose quand même. Et je n’ai jamais senti un doute de sa part. Idem pour les dix ans au Casino de Paris. Il me propose de présenter, il ne me demande pas le quart de ce que je vais faire. Philippe Quillet a été un amour, il a respecté le groupe, il est arrivé sur la pointe des pieds. De la part des Voisins, même de ceux dont je n’étais pas spécialement proche, je n’ai jamais senti que du soutien, de l’encouragement. C’est la qualité du groupe qui faisait ça.»

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SYLVIE LAHUPPE
ET NANCY CUYEU
À elles deux, elles font tourner la boutique. Sylvie est officiellement secrétaire de l’association. En fait, c’est un peu une déesse aux cent bras. Elle joue alternativement le rôle d’agent de la chorale, quand elle négocie les dates avec des salles ; de gentille organisatrice, quand elle prend soin de rappeler à chacun les mille détails pratiques, gages d’un spectacle réussi ; d’attachée de presse, quand elle se démène tous azimuts pour promouvoir les concerts ; d’accessoiriste, quand elle se précipite à la papeterie à la veille d’un spectacle pour acheter des pochettes roses destinées à glisser le texte d’une chanson russe impossible à apprendre par coeur… Et on en oublie. Nancy, elle, assume avec le sourire le rôle peu enviable de trésorière, jonglant à longueur d’année avec les chèques d’inscription, les impôts à payer, les contrats à signer, les cachets des musiciens, les déclarations Sacem, les décomptes de billetterie et les camemberts à mettre en forme pour l’Assemblée générale.
Sylvie: «J’ai connu les Voisins en 1996. J’ai longtemps fait de la danse et c’est pour danser que je suis allée au Bal moderne cette année-là. Je trouvais le concept très attrayant, j’y suis retournée tous les dimanches mais j’ai été détournée par les Voisins et finalement je n’ai appris aucune chorégraphie. Le groupe qui chantait avec la chorale était tout le temps complet, mais Michel Buzenac me faisait entrer. Si j’avais été un gros barbu, il ne l’aurait peut-être pas fait…

En tout cas, ça tombait très bien: quelque temps auparavant, j’avais cherché une chorale, en vain parce que je ne sais pas lire la musique. J’ai adoré la bonne humeur qui se dégageait de ce groupe, les chansons entraînantes, le fait qu’il n’y ait pas de partition, que l’apprentissage se fasse à l’oreille avec les différentes harmonies et que ça marche tout de suite. Pourtant, je me suis fait violence pour m’inscrire parce que je ne connaissais personne avec qui y aller – j’étais à Paris depuis peu – et me lancer dans cette démarche toute seule n’était pas évident pour moi. Mais d’emblée je me suis sentie bien accueillie. Parmi les grands moments vécus avec les Voisins, je citerais la soirée au Théâtre du Châtelet, où on a chanté Turbulente rhapsodie, une chanson qui, en elle-même, donne des frissons, avec le choeur Turbulences. Mais aussi, bien sûr, l’Olympia. On y a interprété Où vont-ils comme ça devant des micros suspendus. Ce sont des chansons fortes, des salles immenses, mythiques, tu te dis qu’il y a tellement de professionnels talentueux qui n’ont pas la chance de faire ça que tu savoures chaque instant. Et puis il y a les voyages: en Russie, on a vécu des moments en dehors du réel. Quant au séjour à Barcelone, offert par la Caixa, c’était un conte de fées. Mais les bons souvenirs sont innombrables. Et même quand on est moins convaincus, le bilan final est souvent positif. Par exemple, avec le Magnificat de Bach, on a atteint les limites de ce qu’on sait faire. Mais c’est ce qui nous a permis de rencontrer le curé de Saint-Eustache et c’est par son biais qu’on a su

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qu’une salle de répétition était disponible au centre Cerise.»
Nancy: «Je vais beaucoup au spectacle, j’ai donc vu très tôt des concerts des Voisins à la Gaîté Montparnasse. J’avais trouvé génial le fait de chanter avec eux en étant dans le public. Ensuite, je les ai retrouvés lors des Nuits de la voix, car je travaillais chez France Télécom. Je me suis toujours dit que le jour où j’aurais le temps, je les rejoindrais. J’adorais chanter, et puis leur fantaisie m’a conquise. Quand j’ai eu du temps libre, en 2004, j’ai envoyé un courriel et on m’a tout de suite proposé de venir. Depuis, on a vécu des moments incroyables, l’expérience la plus excitante étant pour moi la participation aux Enfoirés avec le tournage du clip et les concerts successifs. Faire les choeurs pour Henri Dès était aussi très intéressant parce qu’on était dans un environnement hyperpro et l’enjeu était important, il ne fallait pas décevoir les spectateurs. Même chose quand on a participé à l’émission sur Sol en cirque diffusée au moment de Noël sur France 2. Quelques jours avant, on avait chanté dans la galerie Joué Club à Richelieu-Drouot pour faire la promo de l’émission. Je me souviens aussi de moments improbables comme la freeze party qui a eu lieu dans un square en contrebas du Trocadéro. Le principe: tout le monde chante et dès l’instant où tu vois que ton voisin se fige, tu te figes aussi. Les gens qui passaient par hasard nous regardaient interloqués…
Mais au-delà de ces moments plus ou moins insolites, je dois dire que la chorale m’a vraiment aidée à me sentir mieux à une époque. Si j’ai eu du temps libre en 2004, c’est parce que j’étais en arrêt de travail, car je me battais contre un cancer. Parmi les Voisins, personne ou presque n’était au courant. À la base, j’y suis allée juste parce que, enfin, mon emploi du temps était moins chargé, mais, ensuite, j’y ai vraiment pris goût. Pendant toute ma période de chimiothérapie où j’étais à ramasser à la petite cuillère, ça m’a fait un bien fou de pouvoir participer aux répétitions. C’était une vraie respiration.» MICHEL BUZENAC C ’est le doyen mais c’est un gamin. Agaçant et attachant comme un garnement qui n’en fait qu’à sa tête. Incorrigible quand il interrompt les répétitions par des plaisanteries qui font sourire la moitié des choristes et soupirer l’autre moitié; à la fois irritant et attendrissant quand il se fait rabrouer parce qu’il ne sait pas ses paroles.
Un galopin à qui beaucoup pardonnent, car il est de ceux qui accueillent les nouvelles recrues à bras ouverts et leur permettent d’emblée de se sentir bienvenues. «N adine Laïk Blanchard me dit un jour: “Tu connais Jean-Marie avec qui je travaille parfois? Il monte une chorale avec des chanteurs amateurs, si ça t’intéresse tu es le bienvenu.” Il se trouve que, par ailleurs, j’ai connu Séverine Vincent enfant. Je n’ai jamais fait de musique, mais ils cherchaient des voix de basses. Je me suis présenté dans une salle à La Fourche, on m’a demandé de faire quelques vocalises. Le concept n’était pas encore bien précis, on était une dizaine et on ne savait pas trop où on allait. L’espoir de Jean-Marie était de faire chanter la France entière, mais il ne pensait pas que ça prendrait cette ampleur. Dès les premiers mois, on a enregistré Le chant des partisans, et Maurice Druon, l’un des auteurs, nous a félicités et remerciés. À partir de là, les Voisins ont été pris au sérieux. Ce qui n’empêchait pas de s’amuser! Le concert de Gotainer, par exemple, était complètement foutraque. J’avais un bleu à la jambe, car il jetait une chaise pendant une chanson et elle

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me tombait toujours dessus. Des années plus tard, à la Reine blanche, j’étais sur scène en bermuda et Patrick me présentait comme “le petit Jean-Baptiste des Choristes, qui a un peu vieilli”, avant qu’on entonne une chanson de ce film accommodée à la sauce rock. On a toujours eu le prix de la fantaisie! Ça nous a permis de séduire tous les publics, même les Russes, habitués à beaucoup plus de rigueur. Le voyage en Russie, c’est indescriptible: leur technique vocale, leur professionnalisme, leur générosité… Chacun a découvert un autre peuple. Ils nous touchaient, nous sentaient, nous écoutaient en se collant à nous. La misère était telle qu’on aurait cru que la vie s’était arrêtée avant guerre. Ça a été une succession de chocs. Ça fait partie des expériences extraordinaires qu’on n’aurait pas connues sans les Voisins. En revanche, monter sur scène, pour moi, n’est pas une finalité. J’y prends du plaisir, mais ça ne me fait pas autant d’effet qu’à d’autres, car j’ai longtemps baigné dans le milieu du spectacle. Au départ, je suis resté parce que ça me changeait les idées. Je travaillais dans le social, j’entendais les emmerdes des autres toute la journée et, par ailleurs, je m’occupais beaucoup de mes enfants. À la chorale, je m’évadais à la fois de mon boulot et de ma maison. Aujourd’hui encore, ça me détend. Chanter fait du bien physiquement et ensuite c’est comme la troisième mi-temps. Les répétitions, les pots qu’on prend ensemble, les voyages, tout cela crée des liens et certaines personnes deviennent des amis très chers. Grâce aux Voisins, je me suis créé une deuxième famille.»

PATRICK ET FRÉDÉRIQUE
DELAGE
A ux yeux de Jean-Marie Leau, «Patrick Delage est une exception exemplaire. Alors que tous les professionnels sont partis, il est fidèle depuis près de vingt ans, il est assidu aux répétitions, il bosse.» Et sur scène, il ne ménage son énergie ni dans l’interprétation des chansons ni dans celle des intermèdes cocasses finement ciselés dont il émaille le spectacle. «C ’est à une fête chez Marie-Florence Gros que j’ai rencontré Jean-Marie. Un mois plus tard, à l’été 1996, on s’est retrouvés chez elle, en vacances dans les Cévennes. Patrick Zeff était là aussi. Marie-Flo faisait partie de la chorale et m’en avait un peu parlé, mais ce qui m’en a le plus parlé, c’est le comportement de Jean-Marie. Dès le premier instant où on a été ensemble, on est partis au quart de tour à déconner comme des fous pour tout et n’importe quoi, avec les mêmes références cinématographiques, musicales, sportives, culturelles au sens large. Donc, je me doutais bien que les Voisins ce n’était pas le choeur traditionnel avec la partition à la main. J’avais déjà eu des velléités d’intégrer une chorale, ça n’avait pas marché, mais confusément je sentais que je devais le faire, donc je ne pouvais pas passer à côté des Voisins. À la fin des vacances,

Jean-Marie nous a donné des cassettes, à Patrick Zeff et moi, en nous disant: “Je vous demande juste d’apprendre les paroles des chansons.” Comme à l’époque, on était seuls, on s’est dit que ça pouvait aussi nous permettre de rencontrer des filles. Trois mois après, on participait au Bal moderne, moins d’un an après on partait en Russie.» Et à peine deux ans après, il rencontrait une fille, en effet. Frédérique, jolie comme un coeur et «bonne copine» comme pas deux, capable, en concert, de traduire par d’infimes nuances dans l’expression du visage toute une palette de sentiments. C’est d’abord en spectatrice qu’elle a chanté le répertoire. «E n novembre 1997, un dimanche soir avec une copine, on regarde le Pariscope et on voit: “Venez chanter à la Gaîté avec les Voisins du dessus.” Moi, je suis un juke-box, on lance un mot et je chante, donc on n’a pas hésité. Mais ce qui m’a plu, ce n’est pas tant que le public chante, c’est que les chansons étaient belles et que c’était gai, ça faisait du bien. J’y suis retournée toutes les semaines avec des amis, un groupe de plus en plus large. Or, fin décembre, plus de Gaîté. Je venais voir le spectacle, m’amuser, je n’avais même pas envisagé de faire partie de cette chorale. Mais j’ai été recontactée et on a débarqué rue Saint-Roch avec plusieurs amies, dont Stéphanie Prot. Je connaissais déjà toutes les chansons. Un mois après, je partais en Russie.» La Russie, le plus extraordinaire souvenir des Voisins, pour eux deux comme pour beaucoup: «La première fois, quand le chef de choeur, Sergueï, nous a entendu chanter dans le bus, il était émerveillé. Alors que c’est un musicien en béton au niveau justesse, travail de voix, on avait l’impression que c’était un gamin en culottes courtes, car on était tout ce qu’ils ne sont pas: on n’était pas au garde-à-vous, on était avec nos têtes de cons à chanter approximativement mais avec la pêche… Il a dit: “Ça va être énorme!” Et il avait raison. Tous les concerts ont été magnifiques, et, à la fin, on était les Beatles. Si on ajoute les fêtes avec les Sakaliata à boire des coups et où tout le monde pleurait, plus la beauté de ce qu’ils chantaient, c’est un souvenir inoubliable.»
D’autres moments marquants? Dans le désordre, Le Bal moderne («à ne rater pour rien au monde»), le Bal de l’an 2000 («démesuré»), Bach à Saint-Eustache («surréaliste»), la Fête de la musique à la piscine Champerret («déconnant»), les concerts dans les gares («insolite»), Choralissime («marrant»), L’Opérette imaginaire aux Bouffes du Nord («sublime»). Mais, mieux que les souvenirs, il y a Mina, Lola et Robin, trois enfants qui ne seraient pas là si la chorale n’avait pas existé. Conclusion de Patrick: «Entrer aux Voisins pour rencontrer des filles et y trouver la femme de sa vie, moi je dis: mission accomplie !» STÉPHANIE PROT «J ’ai connu les Voisins par Frédérique Delage. Après avoir vu le spectacle à la Gaîté, elle avait embarqué une bande de copains et on y est allés tous les dimanches qui ont suivi. La première fois, je regardais, interdite, je me disais: “Qu’est-ce qui se passe, là? C’est quoi, ce truc?” C’était un véritable Ovni. C’était très bon enfant, ça avait l’air d’être à la fois totalement maîtrisé et pas superorganisé, ça paraissait très bizarre. Mais les gens avaient visiblement l’air de s’éclater sur scène, donc après le premier quart d’heure d’interrogation totale, je me suis laissée embarquer par ce bonheur très communicatif.
Au bout de plusieurs semaines, Jean-Marie nous a dit: “C’est bien de venir nous voir, mais il faudrait nous rejoindre.” On a commencé à répéter rue Saint-Roch le mercredi pendant un ou deux ans avec Khalid et Agnès qui menaient ça de main de maître avec quelques anciens, toujours les mêmes, qui nous aidaient à apprendre. Ça nous a beaucoup plu mais on n’y allait pas en dilettante, on se donnait à fond, on avait nos cassettes, on travaillait chez nous. Pour certaines chansons compliquées, on faisait des répétitions supplémentaires le samedi matin chez Agnès. À l’époque, on était censés apprendre plusieurs voix, ça permettait d’étoffer notre connaissance du répertoire et d’améliorer notre écoute des autres voix. Pour nos premiers concerts, on a retrouvé la Gaîté. Mais ce n’était plus tous les dimanches et on n’était pas forcément tous sur scène, il y avait des chansons écrites pour que certains choristes chantent en solo, en duo, en trio, souvent des invités comme François Bernheim ou Vincent Baguian. C’était varié et très plaisant. Par la suite, lorsqu’on a fait des concerts plus structurés, mieux préparés, dans de

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grandes salles, la discipline était drastique. Il y avait un calendrier de répétitions fixé à l’avance. Au début de chacune, on faisait l’appel et ceux qui étaient absents trois fois ne pouvaient pas faire le concert: ça rigolait pas! Il fallait que ce soit vraiment construit, que les déplacements se fassent proprement, que chacun connaisse ses textes sur le bout des doigts… On s’est un peu détendus par la suite, et c’est peut-être pas plus mal, mais c’est vrai que c’est en étant rigoureux qu’on offre au public un truc qui a de la gueule.
C’est ça qui le séduit, et aussi, bien sûr, les ateliers. C’est fondamental, car ça le fait participer à notre petite folie, ça force les gens gentiment. Même avec des publics difficiles, même dans les séminaires d’entreprise, où les salariés n’ont pas prévu de voir un spectacle, et encore moins de chanter, ça fonctionne. Tout le monde se laisse embarquer et ça donne une ambiance très gaie. J’adore ça, ce petit clin d’oeil qui crée un lien avec les gens. Il y a des soirées où ça a pris une dimension supplémentaire, par exemple lors du Bal de l’an 2000, où il y avait des centaines de personnes dans cette grande salle de la Cité de la musique et où on explorait une nouvelle langue, le wolof, sous la houlette de Wasis Diop. Dans

un autre genre, le Magnificat de Bach à Saint-Eustache nous permettait de sortir de notre répertoire traditionnel. Pour obtenir quelque chose qui sonnait, on a bossé comme des fous! De mon point de vue, dans cette belle église avec une réverbération naturelle, c’était réussi. Même si ce n’était pas parfait d’un point de vue musical, le public a apprécié. Car, au-delà de la technique vocale, quand il y a une réelle implication dans ce qu’on fait, ça transparaît. Quand on prépare et qu’on donne un spectacle honnêtement, avec engagement, avec générosité, ça emporte les gens même s’il y a quelques petits trucs qui dépassent sur les côtés.
Au-delà de tous les concerts qu’on a pu faire, l’intérêt de ce groupe c’est aussi les liens qu’on y noue. On a tous de vrais amis, de simples connaissances et des gens avec qui on ne parle pas vraiment, mais avec qui on partage quelque chose de particulier. Même quelqu’un dont on ne connaît pas la vie, on a du plaisir à chanter avec lui. On passe un moment agréable, on apprend ensemble, on s’épaule, on se prête les textes, on se chante dans l’oreille. Ce n’est pas pour ça que ça crée automatiquement une intimité en dehors de la chorale, mais on est dans un même élan et c’est très chouette et dynamisant. Ce qui crée de l’intimité, du lien, c’est surtout les coups qu’on va boire après, les voyages, une histoire commune.
Les Voisins, j’y suis depuis plus de quinze ans, ça a clairement changé ma vie. Forcément, toutes ces expériences, ça impacte ce que tu es ou la façon dont tu vis les choses. Ça m’a

fait aller au-delà de moi dans certaines circonstances, ça a modifié ma façon de voir les choses. Faire partie d’un groupe ça modifie ton rapport à l’autre. Oui, bien sûr, ça a profondément influé sur ce que je suis aujourd’hui.» RAYMONDE JASSAUD T ailleur strict, lunettes cerclées, petit pas pressé et air compassé, c’est l’image qui vous vient à l’esprit quand on vous parle d’une médecin septuagénaire ? Remballez vos clichés, voici Raymonde, ses T-shirts à message («Mon nom est Monde. Ray Monde»), son bon sourire et ses réparties gouailleuses qui penchent nettement plus côté carabin que versant mandarin. D’ailleurs, être médecin, souvent, ça lui pèse. «Quand je suis arrivée aux Voisins, en 1996, je faisais croire que j’étais coiffeuse pour qu’on ne vienne pas me demander mon avis sur la grippe du petit et l’arthrose de la grand-mère.» Preuve qu’elle ne se départ jamais de son humour, car l’époque était difficile pour elle. «E ntre 1983 et 1993, j’avais perdu onze personnes de mon entourage affectif proche : mon mari, mon père, ma mère, des amis extrêmement chers avec qui je communiquais quasiment tous les jours, et en juin 1996, je perds une amie qui était comme une soeur. J’étais vraiment déprimée. Les Voisins chantaient au Palais Royal pour la Fête de la musique, Ginette (choriste historique), que je connaissais depuis vingt ans, me dit : “Viens nous voir, ça te distraira, ne reste pas dans ton coin à te lamenter.” J’ai bien apprécié le spectacle, donc, ayant toujours aimé chanter, je me présente à la rentrée rue Saint-Roch où avaient lieu les répétitions. On devait remplir une fiche : connaissez-vous le solfège, avez-vous déjà chanté, aimez-vous le classique, le jazz, voulez-vous chanter en solo ?
Les Voisins, ça a été une véritable thérapie, ça m’a permis de réintroduire un peu de gaieté, de légèreté dans ma vie.
Entre tous ces décès, mon fils qui grandissait, je ne me suis jamais remariée, j’ai ramé psychologiquement, affectivement, il n’y avait pas beaucoup de fantaisie dans mon quotidien, et puis la médecine générale, ce n’est pas toujours marrant. image non disponible D’ailleurs, au départ, je ne voulais pas être médecin, je voulais être danseuse étoile. Mes parents m’ont laissé prendre des cours, de là à en faire un métier, certainement pas! Les Voisins ont été une soupape qui m’a permis de renouer avec le côté artistique que j’avais laissé de côté. Et ce dans un esprit de grande liberté. Je n’aime pas être corsetée: quand j’étais enfant pendant les cours de danse, mon moment préféré c’était quand la prof nous demandait d’improviser, alors que la plupart des autres filles détestaient ça. Jean-Marie nous a toujours laissé cette liberté, c’est quelqu’un qui a une grande acuité psychologique, il appréhende finement les personnalités et les laisse s’exprimer. D’ailleurs, certains d’entre nous ont eu des chansons écrites spécialement pour eux. Élie et Stéphanie m’ont écrit Des baisers, que j’ai chantée plusieurs fois en solo. C’est très intimidant, mais j’aime bien me lancer des défis.
Ce qui me plaît aussi, c’est la variété de ce qu’on peut faire avec les Voisins. On est montés sur des scènes prestigieuses et, à la même époque, on chantait dans les kiosques de jardins publics et c’était très sympa aussi. Parfois, on a eu des plans ratés. Comme cette fête de fin d’année d’une école de commerce: la salle était vide, il y avait juste une fille qui lisait un hebdo! Idem à l’hôpital Bichat pour la Fête de la musique, aucun spectateur! À côté de ça, on a chanté à Bercy avec les Enfoirés devant des centaines des personnes. L’ambiance était très chaleureuse, si bien que quand j’ai vu un grand barbu super-baraqué se poster

à côté de moi, j’ai dit à ma voisine: “Ils sont quand même vraiment sympas, ils font même chanter les mecs de la sécurité.”
C’était Sébastien Chabal.» JOSIANE BROCCHI «J e me suis retrouvée à Paris après mon divorce, j’étais un peu seule. Mais je connaissais Jean-Marie par une cousine et il m’a proposé de rejoindre la chorale. Je suis arrivée à la répétition du samedi rue Saint-Roch à l’automne 1995. Ça a été le coup de foudre ! Mon intégration à Paris en a été grandement facilitée. J’ai adoré l’ambiance, la jovialité de Jean-Marie. Le répertoire aussi me plaisait : au tout début, nous avons répété Mon amant de Saint-Jean, mais harmonisé de façon originale. Au mois de juin suivant, nous avons ouvert la Fête de la musique au Palais-Royal. C’était le premier grand moment, j’avais très peur mais c’était une superbe expérience. Ensuite, je me suis habituée à la scène. Jean-Marie a même écrit une chanson pour Raymonde et moi, Le Web , que nous chantions en duo, elle en costume de marin, moi, en costume de bain 1900 rayé. Les souvenirs inoubliables, on ne peut pas tous les citer. Mais j’ai quand même une prédilection pour les concerts où nous avons chanté pour des causes humanitaires. Par exemple, la soirée au Châtelet: être dans ce théâtre prestigieux, chanter avec les personnes autistes, avec qui le courant passait vraiment bien, c’était un grand moment d’émotion. Idem pour les Enfoirés à Bercy, se retrouver devant cette salle immense, croiser tous ces image non disponible artistes et puis, surtout, soutenir les Restos du coeur, ça avait vraiment du sens. Tout comme les prestations pour Sol en cirque, notamment cette émission de télé où Jonasz faisait l’andouille, et où les organisateurs avaient toutes les peines du monde à faire bouger Cabrel, qu’ils trouvaient trop raide.
Et puis, bien sûr, l’expérience, la plus forte, c’est la Russie. De grandes amitiés se sont nouées pendant ce voyage, facilitées par toutes ces émotions partagées. Ce qui m’a le plus marquée, c’était l’accueil de tous ces gens si simples, surtout dans l’orphelinat. Les enfants nous avaient préparé des petits spectacles, des dessins, dressé des buffets avec ce qu’ils avaient pu réunir… On a fait plusieurs concerts dans Rybinsk et on s’est déplacés dans plusieurs villes alentour. Partout les gens nous accueillaient comme des rois. Ils adorent la France, et ils étaient contents qu’on leur apporte notre fantaisie, notre liberté. Pendant et après les concerts, c’était l’émeute. Je me souviens aussi de l’arrivée dans notre chambre au sanatorium: dans la salle de bains, il y avait une baignoire en fonte avec des pieds en griffes et un tuyau genre tuyau de gaz d’où sortait un tout petit filet d’eau rougeâtre. On participait à des soirées à l’ambiance un peu surannée, organisées dans le sanatorium. Avec les autres filles, on avait repéré un beau mec, mais au bout de quelques jours, on s’est aperçues que c’était un prêtre!
Tous ces souvenirs communs créent des liens indéfectibles. Pour moi, les Voisins c’est une famille. On a partagé tellement de choses, tellement de moments forts! Pour la naissance de mon petit-fils, quand j’ai appris que mon fils et ma belle-fille étaient à la maternité, on était en week-end chez une Voisine. Eh bien, entre ce coup de fil et celui annonçant la naissance de Solal, Jean-Marie et Patrick m’ont écrit une belle chanson!» LILIANE ROBERT I nterrogez un spectateur à la sortie d’un concert des Voisins du dessus, les trois quarts du temps il vous parlera de «cette petite dame aux cheveux blancs qui a une pêche incroyable».
Pas de doute, c’est Liliane Robert.

«J ’ai beaucoup chanté en chorale depuis l’enfance jusqu’au choeur de la Sorbonne, où le répertoire était essentiellement classique, bien sûr.
Ensuite, je ne chantais plus, sauf pour moimême ou mes enfants. Au moment de la retraite de mon mari, dont j’étais l’assistante, quelqu’un me demande: “Et toi, qu’as-tu aimé faire dans la vie?“ J’ai répondu: “J’ai aimé chanter.” J’avais plus ou moins l’intention d’intégrer une chorale, mais je n’avais pas envie d’un choeur traditionnel. Là-dessus, je trouve un article dans un journal féminin sur les Voisins… J’y pense et puis j’oublie. Mais peu de temps après, une émission sur France Inter annonce leurs concerts à la Gaîté Montparnasse. J’y suis allée. Moi qui ne voulais plus chanter des requiem, j’étais bien tombée!
À la fin du spectacle, on nous a dit: “Si ça vous intéresse, laissez votre adresse, on vous écrira”, et c’est ce qui s’est passé. Je me suis retrouvée avec un petit groupe de nouveaux, un mercredi, rue Saint-Roch. On nous a distribué une liste de chansons et des cassettes avec les enregistrements voix par voix. Jean-Marie faisait répéter le lundi et on ne passait pas du tout systématiquement d’un groupe à l’autre. Une femme un peu autoritaire faisait barrage: “Qui peut chanter cette chanson?” Le passage dépendait du répertoire que chacun maîtrisait, plus que de la tessiture. On a attendu longtemps avant de participer aux spectacles: au début, on ne chantait qu’avec le public pendant les ateliers. Et le jour où j’ai eu le droit de monter sur scène, j’ai eu une extinction de voix, j’ai dû faire du play-back! C’était bien sûr à la Gaîté, où nous avons donné des dizaines de concerts, j’ai l’impression d’en connaître chaque fauteuil, chaque recoin.
image non disponible Un jour, nous avons participé à un concours de chorales à Saint-Germain-en- Laye, on a gagné grâce à nos spécificités: le fait d’avoir des musiciens, les petites chorégraphies – d’ailleurs, depuis qu’on bouge davantage, on chante beaucoup mieux – mais aussi notre répertoire fantaisiste. Une de mes amies agrégée de lettres aimait beaucoup nos chansons, et Même pas mal représentait pour elle l’esprit Voisins, alors que Jean-Marie a dit: “C’est la chanson la plus bête que j’aie jamais écrite.” Et surtout, ce qui nous distingue, c’est le fait de faire chanter les gens. Je le prends comme un moment de plaisir partagé, le public apprécie beaucoup. Une amie avait emmené à un de nos concerts sa maman, qui était une vieille dame du XVIe très “comme il faut”, elle était enchantée et trouvait que c’était beaucoup moins ennuyeux que les autres chorales.
Les concerts permettent de nouer un lien particulier avec le public mais aussi entre choristes. Les répétitions plus fréquentes et plus sérieuses, les discussions dans les coulisses, le fait de se maquiller ensemble, de vivre ensemble un moment exceptionnel, cela modifie les rapports entre les gens. Idem pour les voyages: être dans un autre environnement, découvrir de nouvelles choses en cassant un peu les groupes habituels permet de se rapprocher.
Les Voisins m’ont finalement apporté bien autre chose que le plaisir de chanter. J’ai retrouvé la mémoire du par coeur. Même si, aujourd’hui, je mets un peu plus de temps, les chansons que j’ai apprises restent gravées. Et puis, à une époque, ça me permettait de m’évader de mon quotidien. Une année, mon père était malade, et mon mari atteint d’Alzheimer. Même si j’avais de gros soucis, j’arrivais en répétition ou en spectacle, j’oubliais tout et ça ne m’empêchait pas de me concentrer. Mon père est mort fin mars, mon mari fin avril et, à la mi-mai, a eu lieu le concert des 10 ans des Voisins. J’y suis allée tout de même. Quelqu’un a dit que j’étais une veuve joyeuse, mais je ne me

suis pas dit: “The show must go on”, je me suis juste dit que ça ne servait à rien de rester toute seule à me lamenter. Dans les moments difficiles, on trouve dans ce groupe un peu de réconfort car on s’y fait des amis parmi des gens de tous âges. Tout cela aide à se maintenir en forme.» JACQUELINE BERTIN «C ’est grâce à France Inter que j’ai connu les Voisins. Un jour de 1997, on annonce une émission sur les chorales. Je ne prévois pas de rendez-vous ce jour-là exprès pour écouter. C’était des chants folkloriques, du classique. Oh là là! C’était pas mon truc ! Mais au moment où j’allais éteindre la radio, j’entends Mon amant de Saint-Jean harmonisé de façon originale, ça tranchait avec le reste. Et Jean-Marie, en studio, explique qu’ils sont en concert à la Gaîté tous les dimanches soirs. Avec mon amie Angela, nous cherchions depuis longtemps une chorale qui nous convienne. Je l’appelle aussitôt pour lui proposer d’y aller. Quand on a vu le rideau s’ouvrir sur ces gens souriants, décontractés, en chemises multicolores, on a tout de suite été conquises. On y est retournées plusieurs dimanches de suite. Un jour, j’y suis allée seule et on a proposé à ceux qui souhaitaient rejoindre la chorale de laisser leurs coordonnées. Lorsque j’ai inscrit mon amie, la jeune femme qui s’en occupait dit : “Tiens, on chante une chanson qui s’appelle Angela !” Je ne sais pas si ça a joué, toujours est-il que nous avons été rappelées. On s’est retrouvées rue Saint-Roch, où on nous a expliqué image non disponible le fonctionnement de la chorale, notamment le fait qu’il n’y ait pas de pupitre. “Tu chantes dans ta zone de confort”, nous a-t-on dit. Ça m’avait marquée, car c’est le reflet d’un état d’esprit.
L’activité était incessante, entre les spectacles dans les salles, les soirées pour des associations, les prestations en plein air… Il y avait un répondeur et il fallait appeler pour savoir ce qui se passait. Périodiquement, L’Écho des Voisins faisait un point sur les spectacles en projet, et ceux qui avaient envie de s’exprimer pouvaient écrire des petits articles.
À la fin de la première saison, on a eu le droit de chanter dans les squares. Une grande première, chanter en public! On changeait de quartier chaque week-end: le Square Jean-XXIII, derrière Notre-Dame, le parc Montsouris, Belleville, le square Willette, au pied du Sacré-coeur… On se retrouvait à chanter devant des familles avec leurs enfants, des touristes, l’ambiance était sympa. Mais il a fallu attendre beaucoup plus longtemps pour monter sur de vraies scènes. La Gaîté, c’était la récompense suprême! La première fois que j’y ai chanté, on commençait par un extrait du Magnificat, c’était très intimidant. Derrière le rideau, je serrais fort la main d’une autre choriste pour me donner du courage! Ensuite, au fil des concerts, j’ai pris de l’assurance, comme tout le monde. D’autant que plusieurs professionnels nous ont aidés à nous sentir plus à l’aise sur scène, notamment Pascale Ruben et Jacky Nercessian. Il nous avait dit: “Ne soyez pas trop focalisés sur les paroles, associez-les à un soleil, une route, un ciel bleu, etc.” J’ai une mémoire très visuelle, donc j’ai illustré tous mes textes. Quand je suis sur scène, je ris intérieurement, car je pense à mes dessins, je lui suis très redevable, j’avais trouvé ce conseil formidable.
À partir du moment où on était intégré dans le groupe des plus aguerris, on avait accès à des activités très variées. Par exemple, on a enregistré des choeurs pour un disque de Pierre Bachelet. Ça fait partie des plus des Voisins. Quant aux concerts, ils permettent de voir les théâtres sous un autre angle: celui de coulisses. Au Châtelet, même les

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loges sont magnifiques, tout est d’une grande classe, y compris ce que le public ne voit pas. Au Casino de Paris, en revanche, pour le concert de soutien au Sentier des Halles, on avait pour loge une espèce de couloir décrépit où on voisinait avec les Têtes raides ou Sanseverino. Avec les émissions de télé aussi, on a vu l’envers du décor. Quand on est passé à Vivement dimanche, l’enregistrement a été fait avant l’émission et l’image a été rajoutée comme si on était dans le même studio que Drucker et ses invités. Une année, on a été conviés à chanter pour une émission de Noël sur TF1. On a été maquillés à 18 heures, on nous a donné un petit quelque chose à grignoter et, ensuite, ils nous ont fait poireauter jusqu’à 1 h 30 du matin. Le maquillage n’en était plus un, on n’en pouvait plus. Tout ça pour finir coupés au montage!» GILDAS THOMAS «J e suis auteur-compositeur-interprète, j’ai sorti trois albums. Auparavant, je faisais partie du groupe de chansons pour enfants Zut. C’est à cette époque, en 2000, que j’ai rencontré les Voisins. Quelqu’un m’avait parlé dans une soirée de cette chorale atypique qui passait à la Gaîté. J’y suis allé par curiosité et ça m’a emballé! J’ai adoré les textes, les mélodies et, surtout, le principe de faire chanter le public. Ce qui m’a marqué, c’est l’énergie terrible qui se dégageait de ce groupe. Ils étaient vingt-cinq ou trente, ce n’était pas la grosse artillerie mais ils avaient tous la banane! J’ai fait partie de la chorale de l’automne 2000 à l’été 2003. Si je suis parti, c’est que ce n’était plus un loisir, pour moi,

de venir chanter: je faisais ça toute la semaine. En revanche, je ne me sentais pas décalé, je trouvais que les gens se débrouillaient plutôt bien de façon globale. Individuellement, on s’en fiche, le principe d’une chorale c’est que le groupe sonne. C’est aussi un lieu de rencontre amicale, j’y ai d’ailleurs gardé pas mal d’amis. Ce n’est pas propre aux Voisins, les gens viennent chercher ça dans les chorales, car on peut s’y épanouir sans être jugé par le regard des autres. L’individu peut prendre son plaisir d’individu sans être mis en danger par le groupe. Il n’y a pas beaucoup d’activités comme ça. Et les regards pendant qu’on chante, les complicités qui naissent, c’est quelque chose de rare aussi. Cette activité rapproche les gens parce que, quand on chante, inconsciemment, il y a un fluide qui passe. La chanson est un dénominateur commun, libre à la communication non verbale de s’engager, indépendamment de cette concentration centrée sur le chant. On peut chanter en pensant: “Qu’est-ce qu’elle est mignonne celle-là!” ou “Il a l’air sympa, celui-là”, ça permet de capter un tas de choses en même temps. Lorsque je suis invité pendant les concerts, ça m’apporte du plaisir, ça m’amuse, et puis profondément, j’aime les chorales. D’ailleurs, je décline le concept des Voisins dans le Cantal. Depuis neuf ans, j’y vais un week-end par mois. Il y a vingt-cinq personnes qui viennent aussi pour se rencontrer, car même dans un village de 2000 habitants, ils ne se connaissent pas tant que ça.

J’ai repris la façon de faire des Voisins: je suis à la guitare, on chante des chansons harmonisées à deux ou trois voix, elles sont apprises à l’oreille, sans partition. Quand j’y suis, je pense souvent aux Voisins: leur énergie m’inspire beaucoup.» CLÔDINE COUZINIÉ «J ’ai toujours eu envie de chanter. Je n’avais jamais fait de musique, mais j’ai rencontré mon mari en allant au cabaret du Cheval d’Or, dont il s’occupait, et j’ai toujours adoré ce qui se passait devant et derrière le rideau… On chantait beaucoup à la maison: Ferré, Mouloudji, Brel. Surtout, nous avons côtoyé Brassens pendant vingt ans. Comment ne pas avoir l’amour de la chanson quand on rencontre quelqu’un comme lui! Nous faisions les choeurs derrière le rideau de Bobino pendant qu’il chantait. J’étais même allée au Petit conservatoire de Mireille et elle avait dit que j’avais une voix intéressante. Mais je n’ai pas persévéré. Beaucoup plus tard, j’ai découvert les Voisins. Un de mes fils avait pour ami un garçon, Pierre Funès, qui appartenait à la chorale, il a d’ailleurs écrit une chanson du répertoire . Il m’a dit: «Viens à la Gaîté, je suis sûr que tu vas adorer. Si c’est le cas, tu vas voir Jean-Marie et tu pourras nous rejoindre sans problème.» À ce spectacle, je me suis régalée: le côté gai, frais, la bonne humeur m’ont vraiment plu. Et puis on sentait une grande complicité entre tous les choristes. Mais j’avais l’impression que c’était inaccessible. Je me suis inscrite tout de même, mais mes débuts ont été laborieux. On répétait rue Saint-Roch avec notamment Khalid et Agnès. Je n’y arrivais pas et je pensais que je n’y arriverais jamais: chaque fois que je sortais d’une répétition j’avais envie d’arrêter. image non disponible Ça ne sortait pas, ça a duré un grand moment. Je n’avais pas l’habitude de chanter à plusieurs voix et j’avais du mal à mémoriser une chanson parfaitement. Je me sentais mauvaise, et comme j’étais timide ça n’arrangeait rien. En plus, Khalid me bloquait plutôt qu’autre chose, les exercices qu’il nous faisait faire ne me correspondaient pas. Mais j’ai persévéré, car j’avais vraiment envie de chanter, et, finalement, j’ai passé un cap. À partir de là, j’ai pu chanter avec grand plaisir et grand bonheur. D’autant que peu de chorales vous donnent l’occasion de faire des scènes comme on en fait aux VDD. C’est très important, car donner un concert en public nécessite de la rigueur et, tant qu’on n’en a pas fait, on ne sait pas si le groupe chante bien ou pas. Et puis c’est agréable aussi, de monter sur scène. La première fois que ça m’est arrivé, ma soeur m’a dit: «Pour une fois, c’est toi qui es en vedette!».* Ce qui me plaît aussi, c’est le partage avec les spectateurs lors des ateliers. Quand on leur propose de monter sur scène, beaucoup montrent une timidité étonnante, mais ils prennent un plaisir immense à chanter avec nous. Parmi les moments que je garde en mémoire, il y a les voyages: à Barcelone, à Peyrehorade, les Voisins communiquent dix fois plus entre eux, ça crée un lien différent. Quant aux spectacles, bien sûr, il y a le Casino de Paris où on a fêté nos 10 ans devant une salle pleine à craquer. Cela dit, je trouve que le concert de soutien au Sentier des Halles est presque un plus beau souvenir. Être dans les coulisses avec Nougaro, c’était exceptionnel! Autre moment important pour moi: en 2012, nous avons eu le plaisir de participer au festival L’intégrale Brassens à la mairie du IXe arrondissement.
Mais finalement, ce qui compte aussi, c’est le quotidien, les répétitions avec Jean-Marie ou avec Jérôme et Stéphanie qui font un boulot formidable. Ils sont épatants, avec eux, on bosse, agréablement, mais on bosse, c’est cadré. Jean-Marie est très bien secondé. Et puis, surtout, j’apprécie de retrouver chaque semaine mes amis et de rencontrer des gens nouveaux. Ce n’était pas du tout mon objectif au départ. J’avais une vie très pleine, je travaillais, j’avais beaucoup d’amis, encore un enfant à la maison, je suis venue à la chorale uniquement pour chanter.

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Finalement, j’y ai trouvé autre chose: de l’amitié. Et depuis que mon mari n’est plus là, ça m’apporte énormément. Bien sûr, j’ai plein d’autres amis et ma famille qui m’entourent. Mais les Voisins, désormais, c’est la moitié de ma vie.»
* Le mari de Clôdine était le comédien Pierre Maguelon. FLORENT CHEVOLLEAU
ET EMMANUEL BONTOUX
L eur histoire d’amour est digne d’une comédie hollywoodienne. Elle commence par un rendez-vous manqué, au Sentier des Halles, à l’été 2002. Florent: «Je faisais partie des Voisins depuis deux ans. C’est une amie qui m’avait convaincu de la rejoindre. Moi, j’aime bien chanter, j’adore la musique, mais sans elle, je n’aurais jamais osé franchir le pas. Elle avait eu ce culot-là, je trouvais ça super mais j’étais hésitant. Elle m’a convaincu en m’expliquant que c’était très ouvert, sans audition, sans nécessité de lire la musique, il y avait un côté informel et du coup accessible. En fait, je connaissais déjà les Voisins sans le savoir : j’étais allé au Bal moderne quelques années auparavant pour la danse et j’avais appris une chanson avec Patrick Delage. Un soir je suis arrivé à Cerise un peu intimidé. J’ai bien aimé le côté très ouvert, la diversité, avec des gens de 25 à 75 ans. Il y avait une vraie énergie et on ne sentait pas cette espèce de carcan qui peut peser dans certaines chorales. Rapidement, on a fait un spectacle à la Gaîté. Au départ, je n’y étais pas allé pour ça, juste

pour le plaisir de chanter et d’oser chanter. Parce que le fait d’être dans un groupe désinhibe, prouve à chacun qu’il est capable de le faire et incite à essayer de s’améliorer. Mais j’ai découvert que j’ai beaucoup de plaisir à faire de la scène.»
Emmanuel: «De mon côté, je cherchais à intégrer une chorale et j’avais passé des auditions sans accrocher avec aucune. Habitant près de l’Européen, j’avais vu une affiche annonçant un concert des Voisins. J’y suis allé par curiosité et j’ai trouvé l’ambiance et l’image qu’ils dégageaient super sympa. En juillet 2002, j’ai invité des amis à m’accompagner pour les voir au Sentier des Halles. La salle et la scène étant exiguës, il y avait une vraie interaction avec le public et puis toujours le même dynamisme, la même diversité des choristes et j’ai vraiment apprécié. Et ce jour-là, sur scène, il y avait Florent. Je l’avais repéré. Je l’ai attendu à la sortie pendant un bon moment, mais en vain. Quelque temps après, j’étais en train de surfer sur Internet et je tombe sur sa photo. J’étais stupéfait, je lui envoie un message pour lui demander si c’était bien lui que j’avais vu sur scène.»
Florent: «J’appelle ma copine choriste: “Tu sais quoi? J’ai un fan! C’est dingue, qu’est-ce que je fais?” On était morts de rire.

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Finalement, je réponds à Manu: «Puisque tu me connais, autant qu’on se voie.» On se donne rendez-vous le 14 septembre dans un café et c’est le coup de foudre.»
Emmanuel: «Je suis venu aux Voisins dans la foulée. Ce qui m’avait séduit en tant que spectateur et qui m’a plus aussi en tant que choriste, c’était la diversité d’âges, de voix et on sentait derrière tout ça une diversité en terme d’idées, d’orientation, de vie, c’est un vrai melting-pot qui est intéressant.»
Florent: «On rencontre des gens en dehors de ses réseaux habituels, amical ou professionnel, c’est enrichissant et, en plus, on a des rapports libres. Un jour, j’ai mis une main aux fesses à Liliane, je ne pense pas que dans toutes les chorales on fasse ça. Cette liberté d’esprit se retrouve dans les choix de répertoire ou de mise en scène. C’est audacieux d’oser un répertoire original. Et c’est ce qui nous convient parce qu’on n’apporte rien dans un répertoire déjà connu. Ou alors, il faut imaginer des choses surprenantes: quand, à la Reine blanche, on a commencé le concert dans le noir, répartis dans la salle le long du mur, en chantant Down in the river to pray, c’est pas le plus beau gospel que le public ait entendu, mais ça a plu parce que ça casse les codes. Idem pour les reprises: quand on reprend des chansons des Frères Jacques ou de Pierre Dac, ça redonne vie à des morceaux méconnus et c’est notre identité. C’est pour ça que je ne nous considère pas comme une chorale, je préfère dire un groupe vocal. Une chorale ça ne joue pas avec des musiciens live et ça reprend des trucs que tout le monde connaît. Et puis dans une chorale, on ne fait pas tout ce que nous permettent les Voisins et qu’on n’aurait jamais pensé faire un jour dans notre vie. Enregistrer des choeurs au studio Guillaume Tell, celui dont le nom figurait sur les pochettes des disques qu’on achetait. Chanter en solo devant une salle pleine. Ou prendre des gens par la main dans la salle, leur apprendre nos chansons, descendre l’escalier du Casino de Paris, avoir droit à une standing ovation pour les 10 ans à la Gaîté, être sur scène à Bercy avec les Enfoirés… Grâce aux Voisins, on a fait ça, quoi!»
Emmanuel: «Toutes ces expériences te donnent de l’assurance sur pas mal de choses. Jean-Marie dit qu’il aime voir comment les gens ont évolué au fil du temps. Et c’est sûr que moi, entre le premier jour où j’étais tout timide, osant à peine sortir un son, et aujourd’hui où je monte sur scène sans appréhension, il y a tout un monde.» GILLES BISMUTH «J e suis arrivé en septembre 2001 par des amis qui étaient choristes et qui m’ont proposé d’aller les voir au marché de Noël à Neuilly. Là, Jean-Marie me propose de rejoindre la chorale. Je lui dis: «Je ne sais pas chanter mais je taquine un petit peu la darbouka». Khalid était sur le départ. Lui est un musicien et moi un humble amateur. Mais Jean-Marie m’a accueilli, avec son esprit d’ouverture habituel: «Viens et puis on verra bien.» J’ai participé à toutes les répétitions. Pour ne pas faire trop de bruit, je mettais des chiffons dans ma darbouka. Au départ, l’idée de venir juste pour prendre du plaisir ensemble me suffisait. Mais rapidement, ça a pris une autre tournure. Un jour, je me retrouve à faire un showcase à la Fnac pour promouvoir la sortie de l’album Variété de chanteurs, alors que la veille je ne savais même pas ce que voulait dire showcase. On fait la Gaîté, le Sentier, l’Européen, et j’ai parmi mes proches des gens qui sont musiciens bien meilleurs que moi, quand je leur dis que je fais toutes ces salles, ils sont épatés. Pour un percussionniste de gouttière comme moi, qui n’a pas appris, qui joue à l’oreille, c’est une aventure extraordinaire. Parallèlement, je vis une période très difficile professionnellement. En 2003, je suis licencié, je passe un an à ne faire que de la musique. Je prends des cours de batterie et répète tous les jours en studio en prévision du concert du Casino, pour les 10 ans, où je

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serai le seul percussionniste avec un petit set de percussions: caisse claire, maracas, darbouka. J’ai un soutien phénoménal de la part de Jérôme et Stéphanie qui me font répéter et qui me prennent sous leur aile.
Grâce aux Voisins, pendant cette période, j’ai pu me réaliser, progresser au moins dans un domaine, dans une activité qui n’était pas mercantile, qui me permettait d’être proche des gens différemment. Outre le plaisir que j’y ai pris, cette aventure m’a beaucoup appris sur le plan professionnel. Il y a des similitudes: dans ma boîte aussi, l’énergie de l’ensemble est plus forte que la somme des énergies individuelles. Et surtout, quand j’ai été en position de recruter des salariés, je me suis rendu compte de l’importance de faire confiance. Cette capacité à accorder sa confiance, c’est Jean-Marie qui me l’a apprise. C’est une de ses grandes qualités.» FRANÇOISE ET LAURENT ANGELI Cette fille dégage quelque chose. Une élégance, une vivacité, une profonde humanité. En tout cas, sur scène, on la remarque. Ça doit être ce qu’on appelle la présence. S’ils avaient su, les cerbères qui, à une époque, gardaient jalousement les listes d’inscription, y auraient ajouté le nom de Françoise Le Rhun sans barguigner. Pourtant, elle a dû patienter de longues années. «Je suis une amie de Gilles Bismuth, je venais aux concerts depuis 2001. J’étais une grande fan, j’ai emmené mes nièces, mes amis, au Sentier des Halles, à la Reine blanche, partout. Quand je sortais, j’avais envie de danser, de chanter, j’étais légère, heureuse!

Mais malheureusement, quand j’ai voulu m’inscrire on m’a répondu qu’il y avait trop de monde et j’ai rongé mon frein pendant des années. Finalement j’ai insisté auprès de Gilles et j’ai fini par rejoindre les Voisins à la rentrée 2006.»
Laurent Angeli y chante alors depuis un peu plus d’un an. Lui aussi dégage quelque chose. La tranquille assurance de celui qui fait son boulot suffisamment bien pour ne pas avoir besoin d’en rajouter. Certainement qu’en milieu hostile, sa devise serait: «Bien faire et laisser dire». Aux Voisins, c’est peut-être: «Bien faire et laisser se taire», car on ne le remercie jamais assez du temps et de l’énergie qu’il passe au service du site www.lesvoisinsdudessus.com qu’il a conçu et dont il est le webmaster. Des nouveaux inscrits à ajouter au trombinoscope? Un fichier mp3 à intégrer pour que les choristes puissent répéter à domicile? Une captation de concert à diffuser? Laurent dégaine sa souris et les choses se font comme naturellement, toujours à temps, sans bavure. Pourtant, lui aussi a d’abord été rejeté! «Une amie m’avait invité à venir voir le concert des 10 ans au Casino de Paris. Lors de l’atelier, j’ai voulu monter sur scène, mais Michel Buzenac m’a mis la main sur l’épaule pour m’empêcher de monter, car il y avait trop de monde. J’étais le premier refusé. Mais j’avais adoré ce qui s’était passé pendant ce concert, je m’étais senti porté par cette énergie. Peu après, une amie qui connaissait les Voisins m’a dit: “J’ai envie de m’inscrire, viens avec moi.” C’est ce qu’on a fait, mais elle n’est jamais revenue.

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Elle avait fait ça pour m’attirer, car ils cherchaient des garçons et j’étais trop timide pour y aller seul!»
Au printemps 2007, alors qu’il discute amicalement avec Françoise, la fille de Nancy Cuyeu lance: «Oh les amoureux!» Un sixième sens enfantin, sans doute. En novembre 2013, Françoise et Laurent célèbrent la sixième union 100% Voisins avec, parmi leurs témoins, Michel Buzenac et Jean-Marie Leau. PIERRE BOUGIER
ET LAURENCE BIRON
L es premières années, chaque nouvel arrivant aux Voisins du Dessus se voyait attribuer un parrain qui le guidait dans ses débuts de choriste. L’usage est tombé en désuétude, mais quelques anciens, de leur propre chef, vont à la rencontre des nouvelles recrues, les mettent à l’aise, leur donnent les codes – l’absence de pupitre, les méthodes d’apprentissage, le fonctionnement de l’association – afin que l’intégration se déroule en douceur. Pierre Bougier fait partie de ces personnes réconfortantes qui accueillent les nouveaux un peu perdus avec le sourire et les saluent par leur prénom dès les premières répétitions. «Les gens qui arrivent sans connaître personne, pour certains, tu vois bien que si tu ne fais pas la démarche d’aller leur parler, ils vont repartir, ce serait dommage. Théoriquement, ça fait partie de l’esprit de ce groupe d’intégrer tout le monde…» Comme de nombreux choristes, c’est au Bal moderne que Pierre a découvert les Voisins.

«A vec une amie, nous avions cet événement dans notre abonnement à Chaillot. L’idée d’apprendre une chorégraphie nous plaisait et on a découvert la chorale sur place. Ça nous a beaucoup plu à tous les deux. Comme on sortait tous les soirs, quand on a vu que les Voisins se produisaient à la Gaîté, on s’y est précipités et on a adoré. Lors des ateliers, on n’entendait pas du tout ce que les autres groupes répétaient, donc le résultat était surprenant, ça participait au plaisir du moment. On appréciait aussi le fait de monter sur une vraie scène – on a toujours envie de voir ce qui se passe de l’autre côté – et de pouvoir communiquer avec les auteurs des chansons. On y est retournés tous les quinze jours plusieurs années de suite. Ensuite on les a vus au Cabaret sauvage, à La Villette.»
D’autres amis sont alors de la partie, dont Laurence Biron: «Ce qui était formidable c’est l’énergie qui se dégageait du spectacle, le côté comédie musicale un peu barrée, car ils étaient en sorties de bain multicolores. Et puis les choristes qui nous aidaient à chanter pendant l’atelier le faisaient de façon hyperchaleureuse. À ce moment-là, le recrutement était ouvert. Ça tombait bien parce que, avec Pierre et quelques autres, on voulait quitter notre chorale de gospel. On faisait des recherches pour en trouver une nouvelle mais c’était déprimant: on se retrouvait dans des ambiances hypercoincées, avec des choeurs qui chantaient assis dans des églises.» Début 2005, le groupe rejoint les VDD. Pierre: «Nous avions décidé d’arrêter le gospel et la liberté des Voisins

nous a plu. Le fait qu’il n’y ait pas de pupitre, qu’on ne soit pas cloisonné à un type de voix, que chacun puisse se mettre avec qui il voulait, c’était appréciable. L’apprentissage par coeur aussi: ça permet de bouger, c’est plus souple, moins guindé. Et puis l’accueil était chaleureux: Agnès, qui faisait répéter, était vraiment cool. Ensuite, Jérôme et Stéphanie l’ont remplacée. J’ai beaucoup discuté avec eux sur la façon de faire entrer les gens dans la répétition, les exercices de respiration, qu’on avait appris au gospel, les méthodes pour arriver à une certaine concentration. Au début, ça a déconcerté certains choristes, mais ça fonctionne bien. Ce que j’apprécie aussi c’est la cohérence entre ce qu’on chante et ce qu’on fait. Il y a un côté humain qui ressort dans des chansons type Turbulente rhapsodie , et, ce côté-là, on le concrétise par l’accueil de tous et les ateliers. Et puis, il y a un bon équilibre dans nos prestations: on ne se prend pas pour de grands chanteurs, mais les spectacles sont de qualité, ça ne fait pas kermesse.» Pour preuve, les Voisins ont tout de même foulé la scène de Bercy…
Laurence: «Les Enfoirés, c’était un moment hyperintense, unique. Mais on a aussi chanté avec Jean-Jacques Goldman pour l’association ELA (Association européenne contre les leucodystrophies), l’année précédente, c’est Michael Jones qui nous accompagnait. Et on a côtoyé plusieurs autres associations, notamment celle dédiée à Laurette Fugain. Pour l’aider à se faire connaître, on a chanté dans la rue, de l’hôpital Saint-Louis jusqu’à l’Hôtel de ville. Ces prestations hors des salles de spectacles permettent un autre rapport au public. À une époque, on a investi l’espace Jemmapes plusieurs dimanches après-midi de suite, il y avait un marché, des expos, les gens s’arrêtaient pour nous écouter, c’était plaisant. C’est intéressant, cette variété des prestations. Les concerts, mais aussi l’enregistrement du disque pour enfants ou de la mosaïque qui a servi de maquette pour pouvoir promouvoir l’idée de e-Jam. C’est ce qui m’amuse chez Jean-Marie, il cherche toujours des idées novatrices. Tout ça, ce sont de chouettes trouvailles des Voisins, dans les autres chorales on a un concert à la fin de l’année, point barre.» BÉATRICE D’HERBÈS 21 avril 2002 «A près le devoir citoyen, ce soir c’est le plaisir: je vais avec une voisine égyptienne à un concert des Voisins du dessus car je chante moi-même en choeur depuis mon enfance et souhaite voir de quoi est fait ce groupe-là.
Alors que nous sommes dans le hall de la Gaîté nos billets à la main, attendant l’ouverture des portes, la nouvelle tombe sur les portables: Le Pen est passé au premier tour de la présidentielle. C’est la stupeur, la sidération, les têtes s’allongent et on peut facilement repérer ceux qui, voulant donner une leçon aux socialistes, ont éparpillé leur vote…
Mais «the show must go on» et le spectacle n’attend pas. Les portes s’ouvrent et la salle se remplit dans un brouhaha qui n’est pas joyeux. Les Voisins arrivent, cintrés dans des peignoirs de toutes les couleurs, comme avachis un lendemain de fête. Ça va bien avec l’humeur du moment, ils ont l’air de se réveiller d’un cauchemar, dégrisés, comme nous tous. Jean-Marie Leau donne le ton: «Nous aussi on sait. La nouvelle est arrivée jusque dans les coulisses. Alors ce soir, on va chanter avec encore plus de force, plus de voix, plus de coeur parce que ce qu’on raconte ici, c’est vous, c’est nous, c’est tous ceux qui ne croient pas que le repliement sur soi et la peur de l’autre sont des solutions. C’est ça dont on a envie de vous parler: le plaisir de vivre ensemble, de partager la musique, la fête, la vie!» Au moment de l’atelier, sur Bal moderne, les voix des spectateurs, d’abord timides, émergent puis s’affirment. Nous sommes les baladins d’un soir, créateurs de vie et d’énergie, capables de renverser la dictature du racisme et de clamer haut et fort que la différence est une chance. Et ça me touche en plein coeur bien sûr car, étant moi-même “décalée”, je me reconnais dans cette mosaïque chantante. Ma voisine égyptienne jubile…
Une chanson prend une teinte particulière, elle se termine sur ces mots: «Vivre sur la planète, faire ce que l’on peut pour être soi.» Je ne sais pas encore que je chanterai cette chanson sur scène moi aussi quelques années plus tard, et qu’en portant ma différence sur le plateau, je donnerai raison à tous ceux qui portent fièrement la leur…
13 avril 2013
Cela fait six mois que je chante avec les Voisins. Je me suis fait ma place, avec mes

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béquilles, ma petite taille et ma voix. Je suis un petit carré de la mosaïque musicale maintenant, et je me sens chez moi en chantant ce répertoire dont les mélodies et les paroles font du bien à l’âme et accrochent un sourire sur les visages de notre public.
Comme je suis aussi membre de l’Association de l’ostéogénèse imparfaite (AOI)*, j’ai proposé aux Voisins d’en animer les journées annuelles. Et me voici entre ces deux groupes qui ont une place importante dans ma vie et dans mon coeur: d’un côté les Voisins qui, depuis six mois que j’y chante, se sont familiarisés à mon drôle de gabarit, de l’autre, les membres AOI qui me ressemblent, déformés dans leur corps à la suite d’innombrables fractures. Ils entrent dans la salle, qui en fauteuil, qui avec des béquilles, claudicant, tous dépassant à peine la taille de petits enfants… une vraie cour des miracles.
Et la peur me saisit: alors que j’ai été témoin de l’accueil des Voisins, je doute encore de leur capacité à “absorber” la situation, parce que, dans nos petits corps

malades restent inscrits les moqueries de l’enfance, les exclusions de jeux accessibles à tous les autres et le discours social qui nous suppose inaptes au travail, à la joie, à l’amour… Et pourtant, mes petits copains de l’AOI pètent le feu. En réponse à l’adversité du handicap, ils ont souvent une énergie qui les honore et une vivacité d’esprit et un humour qui séduisent leur entourage. Ils ont des familles qui les chérissent, des potes, des amoureux, se marient, ont des enfants.
Et le «choc» a lieu.
Quelques accords de guitare et on démarre. Le public est attentif, amusé puis totalement ravi. Pour l’atelier, les Voisins s’éparpillent au milieu des fauteuils, s’accroupissent pour faire couler leur voix dans les oreilles des «petits OI», plusieurs dizaines de centimètres plus bas. La magie opère, la musique fait des passerelles, le son émerge de toutes ces voix mélangées. Les OI savent ce que chercher «le côté du mur au soleil» veut dire et cette chanson éclate avec une joie incroyable.
Au moment de chanter Turbulente rhapsodie , je réalise que cette chanson n’a cessé de m’accompagner depuis que je l’ai entendue pour la première fois. Être soi: c’est un vrai combat pour nos petits corps tordus, car nous n’avons pas à nous excuser de nos difformités alors que le regard des autres nous accuse… Ceux qui rejettent la différence sont peut-être ceux qui, justement, ont du mal à exister pour ce qu’ils sont, à accepter leurs propres failles et à être bienveillants visà-vis de celles des autres…
Je vois tous mes petits copains dans le public. Je sais ce que “faire ce que l’on peut pour être

soi” veut dire pour eux tous, car je l’ai expérimenté pour moi. Je suis fière, très fière d’eux, de moi, et des Voisins qui, sans stigmate physique particulier, sont aussi, comme tous les humains, confrontés à ce grand défi: exister pour ce que l’on est, s’avancer, unique, droit dans ses bottes et participer à cette drôle d’aventure humaine en y apportant son talent singulier.
Notre talent de Voisins du dessus, c’est d’exister pour ce que nous sommes, comme nous sommes, et de témoigner par notre chant qu’il est bon de nous entremêler les uns les autres pour nous enrichir de nos singularités.»
* L’ostéogénèse imparfaite est aussi appelée «maladie des os de verre». JOËL ANDLAUER «E n 2012, je me suis séparé de ma femme, j’étais en pleine dépression et je cherchais des activités pour éviter de m’enfermer sur moi-même. Le théâtre m’attirait. J’appelle donc un ami qui est comédien, pour lui demander conseil. Il ne connaissait pas les compagnies amateurs mais m’a suggéré de m’inscrire aux Voisins du dessus. Il avait fait partie de la chorale pendant quelques années.
J’étais réticent au départ: être sur scène m’attirait, car j’avais eu une expérience au Club Méditerranée à travers les spectacles et les sketches, mais je ne sais pas du tout chanter. Mon ami m’a rassuré en me décrivant cette chorale d’amateurs où il n’y a pas de casting, où les gens sont surtout là pour se faire plaisir et où on leur apprend à bien placer leur voix, à sortir de l’énergie face à un public. J’étais curieux de voir ce que c’était parce que j’avais besoin de rencontrer du monde, d’avoir des énergies nouvelles, j’étais tellement mal… Je me rendais compte que, à chaque fois que je découvrais des univers nouveaux ou que je m’orientais vers des chemins qui m’avaient attiré à une époque de ma vie mais que je n’avais jamais pris, ça allait mieux.
J’ai envoyé un courriel et on m’a proposé de venir à une répétition. Dans les premières minutes, je me sentais un peu perdu, mais l’attention de Stéphanie m’a beaucoup touché. Et plusieurs choristes, dont Pierre et Laurent, m’ont tout de suite encadré. Leurs voix m’ont porté et comme je ne suis pas timide de nature, je me suis lancé. D’autant que Jérôme m’a encouragé: “Lâche-toi, tu verras, ça va aller!” Il y a un côté magique dans le fait d’arriver à chanter quand tu penses que tu ne sais pas le faire. Et puis je trouvais les textes rigolos, certains émouvants. Je n’ai pas vu passer les deux heures.
Depuis, techniquement je pense avoir progressé. Et Ariane Goignard, qui a mis en scène les spectacles donnés à l’occasion des 20 ans des Voisins, a apporté le côté théâtre que je cherchais. Sans compter qu’elle a une empathie extraordinaire avec les gens. Ce dont elle parle, elle le maîtrise vraiment et, face à quelqu’un qui se braque, elle sait mieux que quiconque faire tomber la pression. J’apprécie beaucoup aussi le concept de l’atelier. Il y a un partage, de la générosité, tu n’es pas au micro en train de te prendre pour je ne sais pas qui. C’est un vrai échange. D’une manière générale, les Voisins sont des gens assez humbles, pour qui cette notion de partage signifie quelque chose. Ça m’a fait du bien aussi de rencontrer toutes ces nouvelles personnes, qui ne me connaissaient pas du tout et de la part de qui je ne sentais aucun jugement, comme ça pouvait être le cas quand je revoyais des amis connus avant ma séparation.
Humainement, c’est génial. Il y a deux ans, je me suis dit: “Comment je me reconstruis? Comment tu refais ta vie à 52 balais?” Et il y a des Voisins avec qui, petit à petit, une amitié peut s’installer. J’ai découvert de belles personnes, humainement, artistiquement. Des gens qui te permettent de comprendre qu’il y a autre chose.» image non disponible