C'est si bon...
C'est si bon...
Le chant choral réunit ceux qui
le pratiquent dans une vibration
collective éminemment
bienfaisante. Chez les Voisins,
l’expérience de la scène ne fait
que renforcer cet effet.
Interrogez un quidam à la sortie de son cours de dessin ou de son match de football hebdomadaire, il vous dira qu’il y a pris du plaisir. Interrogez un choriste, en général, et un Voisin du dessus, en particulier, vous entendrez parler de bien-être, de joie, de ravissement, certains osant même prononcer le gros mot «bonheur». L’appartenance à un groupe vocal est une expérience à nulle autre pareille. Dans un brillant essai, Chantons en choeur, (ed. Belles lettres), Marie-France Castarède tente de l’éclairer à la lumière de la psychanalyse. L’ouvrage est sous-titré Essai sur la fraternité des choeurs, et c’est autour de ces «moments de fraternité» offerts par le groupe qu’elle organise son propos. «Le choeur s’épanouit dans la fusion des voix et offre à la société un miroir sonore où elle peut contempler, sans les rides grinçantes de ses querelles, l’image d’une unité restaurée grâce à la musique. Le vivre ensemble musical est une formidable préfiguration d’une société de partage et de compréhension.» Une description quelque peu idéalisée, mais qui comporte aussi une part de vérité profonde. «Il n’y a rien de plus extraordinaire que de chanter à plusieurs, il y a un côté magique, car partager quelque chose à travers les harmonies, les rythmes développe un lien très fort, ça donne une intensité dans la relation qui est très marquante», constate Richard Cross. À la croisée du corps et de l’esprit, de l’individuel et du collectif, le chant choral fait entrer en jeu des flux entremêlés de sensations et d’émotions communes,
Dans Chantons en choeur, Marie-France Castarède raconte sa propre expérience de choriste amateur au choeur de l’Orchestre de Paris. Elle cite Arthur Oldham, son chef, selon lequel, «le choeur, c’est la vraie démocratie : ça ne compte pas du tout si vous avez un gros salaire, une grosse situation, les gens qui brillent sont les meilleurs musiciens. Il existe la possibilité de retrouver son estime personnelle en chantant dans un choeur parce qu’on est doué pour la musique. C’est par le don et le travail qu’on avance et que l’on est respecté par ses collègues, pas à cause du fric. C’est une très bonne chose.» Elle-même a fait l’expérience de cet effacement du statut social de chacun : «Au départ, il y avait une mise entre parenthèses de l’espace social, un arrachement aux déterminismes familiaux et professionnels. Tous pensaient qu’ils pouvaient jouer dans le choeur d’autres rôles que celui prescrit par la vie réelle… Puis chacun se dévoilait petit à petit au fur et à mesure que les dialogues se nouaient jusqu’à ce que se figent à nouveau les rôles et les statuts. Néanmoins, la fluidité, le flou relatif, la circulation incessante des sympathies et antipathies font du groupe choeur un îlot d’une plus grande souplesse, un lieu de rencontres et de hasards plus riche et plus divers que la réalité. Cette virtualité des rôles, cet arrachement à la vie limitée et prescrite par les tâches sociales dans lesquelles chacun est enserré jouent comme un des attraits fondamentaux du choeur. Chacun souffre, dans une certaine mesure, de la limitation de sa vie, plus encore à l’âge de la maturité. Le groupe choeur permet une redistribution des cartes, un élargissement des possibilités, un potentiel de rencontres et d’affinités qui facilite l’expansion du Moi.»
engendrant de la sympathie au sens
étymologique du terme.
Comme le souligne Marie-France
Castarède, le chant appartient à notre
monde intérieur puisque la voix émane
de notre intériorité corporelle et psychique
mais il est ouvert aux autres c’est-à-dire au
partage. C’est un art de la communication
d’avant les mots, d’essence affective et
organique ; pratiqué à plusieurs, il est
propice à la vibration collective.
Agnès Brabo l’a souvent constaté, chanter
en choeur engendre des «métamorphoses
dans l’alchimie personnelle»
. «Aux Voisins,
viennent chanter des gens qui ne l’avaient
jamais fait et, en une année, on assiste
à des changements personnels, physiques,
considérables chez la plupart d’entre eux.
Quelque chose s’ouvre dans le regard,
dans le corps. C’est tout un travail qui se fait
plus ou moins consciemment d’ouvrir la bouche,
d’accepter ce qui en sort, de se mettre à côté de
quelqu’un qui est là depuis longtemps pour
entendre comment ça se passe, ce qu’on entend
vraiment quand quelqu’un chante, et se dire
que, finalement, on n’est pas si mal que ça à
l’intérieur de ce groupe, qu’on y a sa place alors
qu’on pensait ne jamais l’avoir.»
Mais pour l’avoir, cette place, il faut accepter
de sortir un peu de soi. «Dans l’acte de chanter,
on s’expose, on se met à nu, c’est très physique,
très charnel, souligne Marie-Florence Gros. Le
corps vibre, on accepte ses défauts et on se livre,
d’une certaine façon. C’est ce qui fait que
beaucoup de gens n’osent pas chanter car ils ont
le sentiment d’être très vulnérables, de dévoiler
leurs complexes, de s’exposer à la critique, d’être un peu
déshabillés parce que tout le monde va
les entendre. Quand on ose, cela favorise la
proximité avec les autres choristes parce que, du
coup, il y a une immédiate familiarité: il faut de
la confiance entre les gens pour pouvoir se livrer
comme ça. L’inconnu qui est à côté, à partir du
moment où il chante avec vous, vous avez
partagé quelque chose de fort. D’ailleurs quand
on sort de scène on se rend compte qu’on peut
avoir, dans l’assemblée, son frère, son mari, ses
enfants, à cet instant, on est plus proche des gens
avec qui on a chanté, même si on ne les connaît
pas bien. Il faut un certain temps pour
redescendre. Les gens ont vibré ensemble
pendant un moment et ce moment partagé est
comparable à assez peu de choses.»
C’est une des spécificités des Voisins que
d’ajouter à l’expérience commune à tout
choriste cet accès à de «vraies» scènes.
«Cela crée un lien spécial, car on partage un
moment particulier et on tend vers l’excellence
malgré nos petits moyens, en se disant que cela
nous dépasse. Mais comme on est porté par le
groupe en permanence, finalement on y arrive
et on vit une formidable réussite collective»,
remarque Valérie Perrin. «Quand on donne
des représentations ensemble, il y a une
situation d’urgence où il faut être bon et où,
du coup, il faut s’exposer, ajoute Élie Abécéra.
On partage quelque chose d’artistique,
et si on ne s’engage pas, on ne donne rien et il
ne se passe rien, donc il faut être ouvert
intimement. C’est ça qui réunit.» Et aussi le fait
de vivre, sur des scènes habituellement non
accessibles aux amateurs, des moments
hors du commun.
«L’Olympia, combien
d’entre nous auraient été prêts à le faire seuls?
interroge Marie-Florence Gros. Ensemble,
c’était juste une fête.» Chaque concert en est
une, choristes et spectateurs en repartent
regonflés à bloc, illustrant le constat
de Marie-France Castarède: «Le choeur,
institution millénaire, est la victoire
de l’harmonie sur la discorde, de la solidarité
sur l’égoïsme, de l’union sur la solitude.
Aussi représente-t-il aujourd’hui un lieu
ou l’âme n’est pas désarmée mais forte
et joyeuse.»