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Un gars
pas ordinaire

Potache et subtil, chaleureux
et distant, ambitieux et
désintéressé, toujours
souriant et parfois cassant…
Drôle de garçon que Jean-
Marie Leau, fondateur
et chef de chœur bénévole
des Voisins du dessus
depuis plus de vingt ans.

Bien sûr, ils eurent des orages.
Vingt ans d’amour, c’est l’amour fol. On force un peu le trait, mais il y a de ça dans la relation tissée entre Jean-Marie Leau et ses choristes.
La route qu’ils ont parcourue ensemble est sinueuse, cahoteuse, hérissée de fâcheries, de bouderies et de conflits d’egos, mais elle parcourt un paysage de toute beauté. À son point de départ, on aperçoit «un môme de 18 ans. C’est l’impression qu’on en avait. Il en avait 30 mais il était si mince, si léger, si doux…» (Agnès Brabo). «Très doux, il se marrait tout le temps et ne se séparait jamais de sa guitare, c’était le petit frère de Laurent Voulzy. Il était jeune, très fluet, plutôt timide, et en même temps il avait déjà beaucoup d’ambition et savait très bien où il allait.» (Séverine Vincent). Beaucoup d’ambition, et c’est d’ailleurs dans une perspective de carrière qu’il songe d’abord à monter une chorale. «Je me suis dit que c’était un axe de développement possible car je me rendais compte que pour percer, il fallait trouver des angles décalés.» Mais ce n’est pas un hasard si l’angle décalé qu’il a choisi d’explorer le conduit sur la voie du partage. «Jean-Marie n’est pas un philanthrope mais c’est un humaniste, précise François Bernheim . C’est comme ça dans toute sa vie, c’est quelqu’un qui aime ce mot: ensemble.» Frédéric Rebet, au diapason: «Il a une forme d’humanisme évident, il est tourné vers les autres. J’ai toujours dit à Jean-Marie que je lui trouvais presque un côté pasteur. Il a envie de rassembler des gens qui chantent ensemble et il a des valeurs – les derniers seront les premiers, le partage avec le public qui est une sorte de communion – qui sont des valeurs chrétiennes. Mais dans la religion il y a des règles, un protocole alors que Jean-Marie est beaucoup plus ouvert.» .

Si on a envie de suivre ce pasteur-là, c’est avant tout pour sa «force de faire communicative» (Frédéric Rebet, encore). L’homme n’est pas du genre à se laisser impressionner par les obstacles, que d’ailleurs il ne voit même pas. «Certains ne vont pas beaucoup avancer parce qu’ils se posent trop de questions, lui avance, constate Gilles Bismuth. À Barcelone, on a chanté L’Amusette à trois voix en catalan, alors que personne ne parlait la langue!» «J’avance de manière toujours empirique, c’est une affaire de circonstances plus que de stratégie, confirme l’intéressé. Il y a des gens qui réfléchissent d’abord et qui font après, moi je fais et je réfléchis après. Ce n’est pas forcément couronné de succès mais c’est comme ça.» Pas toujours facile de s’adapter à cette façon de procéder qui laisse beaucoup de place à l’improvisation. Faire les choses «à l’arrache», sans toujours bien savoir où l’on va, n’est pas du goût de tout le monde. Mais c’est le revers d’une «envie contagieuse de faire les choses, d’un enthousiasme jubilatoire.» (Frédéric Rebet, toujours). «La force de Jean-Marie c’est surtout d’avoir su préserver cet enthousiasme au fil des ans, ce qui est très difficile», remarque Gérard Abadjian. «Il y a chez lui une capacité incroyable à s’étonner, à continuer à vouloir croire à un rêve utopique et naïf, confirme Élie Abécéra.

image non disponible Ce rêve, c’est de partager ce que lui sait faire par coeur, d’être le professionnel qui continue à penser que les amateurs ont raison aussi. Alors que c’est un excellent technicien et un mec très doué.»

Mélodiste hors pair, arrangeur inspiré, guitariste chevronné, meneur de salle charismatique, les éloges pleuvent quand il s’agit d’évoquer les multiples talents de Jean- Marie Leau.

Fascinante, en particulier, sa capacité à inventer des harmonies en deux temps trois mouvements, deux accords trois nuances, pour faire naître d’une banale mélodie un peu plate un objet sonore multidimensionnel. Elle force le respect des béotiens comme des connaisseurs: «Je suis admiratif de la capacité qu’il a à trouver les voix de façon spontanée, à inventer des harmonisations au pied levé. Tout repose sur l’énergie et la jubilation du moment, ce n’est pas toujours un travail de précision mais c’est impressionnant», s’enthousiasme Gildas Thomas.

Pour parfaire ce portait de l’artiste en (plus si) jeune homme formidable, ajoutons qu’il n’engendre pas la mélancolie. Probable qu’il adhère à la philosophie de Chamfort (non, pas Alain, l’autre), selon lequel «la plus perdue de toutes les journées est celle où l’on n’a pas ri».
Si ses incessants calembours sont

Autobiographie Express

«En observant un copain de collège qui jouait de la guitare, je me suis rendu compte que ça facilitait le contact avec les autres. Dans ma famille, il n’était pas question d’activités extrascolaires, c’était considéré comme du superflu. J’ai lâché sur le sport, sur tout le reste, mais pour la musique, j’ai forcé le passage. Au conservatoire de Sèvres, j’ai appris la guitare classique, rencontré un prof d’instrument avec qui je me suis vraiment bien entendu et un prof de solfège, Gilbert Roussel, qui est un des accordéonistes les plus réputés de sa génération. Il me racontait ses séances d’enregistrement, sa vie de musicien de studio, ça me fascinait. J’avais envie d’écrire des chansons, envie de connaître ce genre d’expériences. Après le bac, tout en gagnant ma vie avec des boulots alimentaires, j’ai enregistré des bouts de chansons, de bric et de broc, et surtout j’ai tout fait pour parvenir à rencontrer des gens dans le milieu musical.
De fil en aiguille, j’ai fini par rencontrer Marie Laforêt, avec qui j’ai écrit en 1993 l’album Reconnaissances, et Nadine Laïk Blanchard, responsable des éditions musicales de TF1, que Claudine Vincent, la maman de Séverine, m’a présentée. Nadine m’a mis sur le chemin de la musique de télévision en me faisant travailler pour une émission qui s’appelait Salut les Homards. C’est à cette époque que j’ai eu envie de monter une chorale. Par la suite, outre les deux contes musicaux que j’ai coécrits, Sol en Cirque et Aimé et la planète des signes, j’ai essentiellement composé pour la télévision. Mais si je fais le bilan de ces vingt ans, la moitié de ce qui m’est arrivé professionnellement, je le dois à la chorale car c’est une énergie qui est atypique, sympathique et qui donne envie. Je ne suis pas sûr que j’aurais foulé la scène des Enfoirés ou que j’aurais vécu l’aventure de Peyrehorade sans les Voisins.

Ce groupe, c’est ce qui est le plus en cohérence avec ce que je suis. Le plus raccord avec ce que je pouvais faire de mon ego, de mes dons, de mes limites et de mes aspirations. Avec les Voisins, j’ai gagné mon paradis.»

inégalement inspirés (mais les plus mauvais jeux de mots ne sont pas les moins drôles), si ses canulars peuvent friser l’escroquerie (sachez que lorsque vous respectez une minute de silence, vous êtes censés lui verser des droits, puisqu’il l’a déposée à la Sacem), son côté «quelques grammes de légèreté dans un monde plombé» a quelque chose de réjouissant. «Quand je l’ai rencontré, ce qui le caractérisait c’était sa bonhomie, son sens de la déconne, son humour très potache mais toujours avec de la sensibilité, pas un truc viril. Pour moi c’est quelqu’un d’assez féminin. C’était subtil même dans le potache», nuance Vincent Mouluquet. De ce point de vue, rien n’a changé: «Depuis que je le connais, Jean-Marie a toujours cette même étincelle dans l’œil, cette même malice, cette manière à la fois sérieuse et légère de faire les choses», constate Gérard Abadjian. «C’est quelqu’un d’espiègle. Il s’amuse beaucoup à titiller les gens avec qui il travaille et son public, confirme Frédéric Rebet. On le voit aujourd’hui avec son projet Pop the opera: il fait travailler les chanteurs de l’Opéra de Monte-Carlo sur des titres pop, de Lady Gaga à Michael Jackson. Et ça marche parce qu’il y a ce côté jubilatoire, les gens s’amusent. Avec lui, il y a toujours une dimension ludique.»

Alors, comment expliquer que tant de choristes soient partis en claquant la porte? Que les beaux moments partagés se soient parfois soldés par des ruptures sans espoir de réconciliation? Eh bien, n’en déplaise aux plus fervent(e)s de ses admirateurs(trices), le garçon a aussi des défauts.
De certains, il s’est guéri au fil des ans.

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Son entêtement à accabler de reproches tel ou tel choriste avec une maladresse blessante, ses remarques assénées sur un ton cassant ont disparu du paysage. Reste sa propension à tout déléguer que d’aucuns versent à son crédit («c’est formidable, de savoir accorder sa confiance sans retenue»), d’autres à sa charge («il a une propension marquée à se débarrasser de ce qui le barbe»). Surtout, certains ont attendu en vain des mercis ou des bravos, ils ont souffert de ne pas se sentir reconnus.

«Dans tous les groupes humains comme celui-ci, il y a des gens qui se sentent rejetés ou incompris, mais c’est inévitable, tempère Khalid K. Jean-Marie a un côté mystérieux, il accueille tout le monde mais avec une espèce de distance. Et je ne porte pas de jugement là-dessus parce qu’il faut avoir une sacrée force pour se retrouver à gérer quarante, cinquante ou cent personnes, des gens qui sont en demande de contact humain alors qu’il ne peut pas avoir un contact avec chacun.» Le chant choral est une activité qui porte à s’investir affectivement, d’où parfois une susceptibilité exacerbée. «Quand on chante, il faut accepter de ne plus être cérébral, c’est un acte physique. Du coup, c’est plus difficile d’avoir le recul nécessaire pour apprécier la juste distance par rapport aux sentiments, souligne Marie-Florence Gros. Les gens sont dans le ressenti et dans l’émotion. Dans ces conditions, le chef de chœur doit être très solide pour arriver à utiliser ça tout en le canalisant. C’est très difficile, quand on est à cette place, de prendre en considération chaque individu tout en gardant soi-même cette distance vis à vis de gens qui sont naturellement surinvestis.» Pas facile d’être chef de chœur, confirme Marie-France Castarède dans son essai Chantons en chœur (éd. Les Belles Lettres): «On attend de lui qu’il soit le patron aimé et estimé, que sa valeur musicale soit incontestable et incontestée et que pour lui vous ne soyez pas une tête parmi d’autres mais quelqu’un qui existe à ses yeux. […] On voudrait presque qu’il soit parfait.»
Encore un petit effort…